2 janvier 2012
Un grain de folie

La première rétrospective française de l’artiste japonaise Yayoi Kusama au Centre Pompidou présente une centaine d’œuvres réalisées entre 1949 et 2011. Difficile de résumer l’œuvre  polymorphe de Yayoi Kusama. Protéiforme dans ses mediums, passant de la peinture à la sculpture, aux installations, aux performances, voire à l’écriture et au chant. Pourtant il s’en dégage une extrême cohérence : quoi de plus logique que la folie ?

Au départ de son travail se trouve une hallucination, un fantasme fondamental et fondateur : autour de  la table familiale les fleurs rouges de la nappe envahissent l’espace et le corps de l’artiste jusqu’à son anéantissement -Self obliteration. Même chose pour l’artiste Unica Zurn -né en 1916 et mort en 1970- qui situe l’origine de sa folie et de son art dans un fantasme,  « l’homme-jasmin », apparu en rêve pour la sauver. De façon systémique et systématique l’œuvre de Kusama tourne autour de cet axe : explorer et mettre en scène ce fantasme d’autodestruction ; « peindre était la seule façon de me maintenir en vie ou à l’inverse était une fièvre qui m’acculait moi-même. »

Un univers né de fantasmes

L’oiseau traqué va se construire une cage dorée pour survivre. C’est-à-dire une œuvre bariolée voire baroque, ultra ludique et enfantine. Toute la richesse de son univers plastique et onirique se situe  dans ce paradoxe. Transformer selon des procédés formels sans cesse réinventés la répétition obsédante du fantasme. L’espace du mal être en féérie. Allier le tragique et le ludique,  pulsion de vie et pulsion de mort, à travers une trame narrative plastico-narrative cohérente et singulière.

Au  Japon, Yayoi accède à une formation classique marquée par l’héritage Dada et du surréalisme, particulièrement frappant dans ses dessins, ses peintures et ses collages aux motifs aquatiques et organiques incrustés d’éléments graphiques, qu’elle reprendra ultérieurement ; après son départ pour New York en 1958 où elle restera jusqu’en 1973. L’expérience américaine modifie son travail qui prend une ampleur nouvelle, toujours basé sur la sérialité. Elle y introduit le déploiement de grands espaces picturaux monochromes -Infiny nets- et une série de sculptures en pâtes molles, qui évoquent l’univers de Louise Bourgeois, des assemblages d’objets de récupérations qu’elle transforme en vêtements et en objets familiers, comparables à ceux de Nikki de Saint Phalle.

A partir de 1966, les motifs d’envahissement deviennent de plus en plus présents, à travers une série d’installations et surtout dans le psychédélique : « Peep Show » où le spectateur,  prisonnier, traverse un espace rempli de miroirs qui réfléchissent à l’infini des pois multicolores. Au-delà de la métaphore personnelle l’artiste stigmatise une société où les hommes sont eux-mêmes de simples « pois sans poids » noyés dans l’univers. Elle éprouve par ailleurs le besoin d’affirmer ses réflexions et de s’émanciper via des étonnantes performances où elle apparait nue. Un acte féministe et une protestation politique contre la guerre du Vietnam.

Méditation sur la vie et la mort

De retour au Japon en 1973, Yayoi poursuit son œuvre -peintures, sculptures et installations- malgré des troubles psychiatriques récurrents. Les dernières salles de l’exposition présentent une série de grandes peintures aux couleurs bigarrées, dont les formes hallucinées et obsédantes ressemblent à celles que l’on  trouve dans l’art brut, auxquelles on ne peut toutefois l’assimiler. L’œuvre de Yayoi est avant tout une méditation sur la mort et la vie, la place de l’homme dans la société, j’ajouterai de consommation, c’est-à-dire une œuvre métaphysique, d’une modernité radicale. « Beaucoup de problèmes qui se rapportent au corps, à l’esprit, se trouvent dans l’interstice qui sépare l’être humain et l’étrange jungle de la civilisation.» Andy Warhol l’avait bien compris à son époque. A la différence de ce dernier, Yayoi possède une spontanéité et une poésie toute enfantine. Un grain de folie, idéal pour les fêtes à savourer comme une bulle de champagne, en dépit du pessimisme de son auteur !

 Par Anouchka D’Anna

Yayoi Kusama au Centre Pompidou jusqu’au 9 janvier 2012

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