3 décembre 2011

L’Assemblée nationale, ou plutôt 30 de nos représentants, ont adopté vers 23 h lundi dernier une loi bien étrange qui interdit aux paysans de replanter ce qu’ils ont semé. En lisant cette nouvelle, l’esprit de toute personne normalement constituée a de quoi marquer un temps, et perplexe,  se détourner de l’écran pour admirer ce ciel aux accents métalliques si caractéristique de Paris en ce début d’hiver. Et ensuite, après une attentive inspection de la surface d’un bureau  et de la poubelle attenante, quoi de plus naturel que de chercher une bouteille vide, un psychotrope ou anxiolytique puissant dont l’ingérence aurait pu provoquer cette hallucination conceptuelle digne d’un Ionesco sous acide.

Une taxe pour replanter

La loi votée lundi avait pour but de légiférer sur la réutilisation, ou plutôt sur l’interdiction faite aux agriculteurs de réutiliser d’une année sur l’autre les semences dites de ferme, c’est-à-dire les semences provenant de leur récolte, par opposition aux graines développées, protégées et commercialisées par les semenciers. Cette loi, dont les modalités doivent être maintenant précisées par décret par le ministre de l’Agriculture, autorise uniquement 21 variétés de semences de ferme à être réutilisées en contrepartie d’une taxe annuelle applicable à tous les hectares cultivés dans ces variétés, c’est-à-dire en échange d’une ponction poétiquement dénommée «Contribution Volontaire Obligatoire»… Volontaire et obligatoire dans la même formule, il fallait oser… Une des justifications de cette loi, est que les industriels français de la filière semencière insistent sur la nécessité de poursuivre leurs recherches de nouvelles variétés afin de répondre à la demande mondiale -7 milliards de bouches à nourrir quotidiennement, ça fait rêver son actionnaire-, de bouter l’anglo-saxon hors de nos rayons et, merci pour la leçon de démagogie, défendre la bio-diversité et s’adapter au changement climatique.

Une nouvelle charge pour les agriculteurs

Si la profession estime à 300 millions d’euros le montant annuel de la recherche, la Confédération paysanne, se basant sur les demandes faites par les organisations professionnelles, projette que la charge supplémentaire annuelle pour les paysans se situerait aux alentours de 10 euros “contribués” par hectare, soit environ 100 millions d’euros, un tiers du montant de la recherche globale. On peut se demander, compte tenu des difficulté économiques de nombreuses exploitations, si c’est vraiment aux paysans d’avoir à supporter cette charge…

La loi pour les certificats d’obtention végétale se fonde sur le droit de la propriété intellectuelle. Les semenciers réclament cette taxe afin de récupérer une partie des “droits d’auteurs” des semences pour lesquels ils ont dépensés d’importantes ressources en développement. Les agriculteurs rétorquent que ces coûts sont déjà amortis dans le prix de vente. Mais au delà d’une question d’argent, c’est de la conception du vivant dont il est question. Et le vivant est-il un bien comme un autre ?

Privatiser la vie

La “privatisation” du vivant est un terme utilisé par les associations de défense des agriculteurs pour dénoncer une dérive juridique aux conséquences industrielles tragiques. Elle désigne une pratique qui a commencée aux États-Unis dans les années 1980 quand la Cour suprême a autorisé le dépôt d’un brevet pour, non pas une plante, une semence ou une courgette, mais pour une bactérie. Néanmoins la brèche était ouverte et les grands méchants comme Monsanto s’y sont alors engouffrés avec le succès que l’on sait. La confusion entre invention et découverte est ouverte. Depuis, les semences, les plantes hybrides, les principes actifs  et même certains légumes traditionnels ont fait l’objet de brevets. Il faut savoir que l’Europe a instauré en 1949 l’obligation d’inscrire les semences au catalogue de l’Office Communautaire des variétés végétales (OCVV) pour les commercialiser. Cette inscription donne lieu à un droit de propriété intellectuelle et aux Certificats d’obtention végétale dont la loi est l’objet. C’est cette question de propriété et les conditions d’attribution du certificat qui sont au centre du débat.

 Le progrès, les graines et les placards

Pour commercialiser une variété, il faut l’inscrire à l’OCVV. Pour inscrire une semence, il faut, comme pour une invention ou une idée, en démontrer son originalité. Donc, comment dépose-t-on une plante connue ou une plante rare telle qu’elle existe dans la nature ? Réponse : on ne la dépose pas. On ne peut la protéger, on ne peut pas la commercialiser. Elle doit terminer ses jours dans les laboratoires où elle sert à fabriquer de nouvelles espèces hybrides qui, pour la plupart, n’auront qu’une durée de vie limitée. Défendre la diversité pour un discours industriel, c’est la créer, artificiellement et sous copyright.Ces réglementations datent des années 60-70 où, sous l’impulsion de la France et des 30 glorieuses, le discours dominant était de sortir le pays de l’archaïsme et de rentrer de plein pied dans le progrès ! Donc, foin de ces vieilles graines, soyons moderne, allons vers le rendement ! Il est vrai qu’à l’époque, la France était encore largement agricole et que le nombre d’espèces n’avait pas encore drastiquement chuté. L’association Kokopelli, spécialisée dans la sauvegarde des semences, estime que l’Europe a perdu 98 % de sa biodiversité agricole. On se dit, il est temps de s’y mettre mais avec quelle semence ? À la différence des brevets, l’utilisation des semences certifiées est, dans le cadre de la création d’une nouvelle semence, totalement libre. Cela est encourageant, mais le problème, précise Guy Kastler de la Confédération paysanne, est que “l’agriculteur ne peut pas séparer recherche et exploitation. Dans la pratique, cela ne peut se passer dans des champs séparés” donc cet aspect de la loi n’est réellement utile qu’aux sélectionneurs (les semenciers).  Devant tant d’obstacles, on comprend l’inquiétude des associations qui redoutent à terme une main-mise totale des semenciers sur le marché. Est ce vraiment étonnant, alors que la demande n’a jamais été aussi forte …?

Kokopelli en justice

Est ce pour cela que cette loi tombe à point nommé ? Est ce pour cela que les partisans des OGM redoublent d’activité ? Est-ce pour cela que des associations de terrain comme Kokopelli se sont fait attaquer en justice parce qu’elles cultivent et diffusent des graines de variétés rares auprès de  paysans indépendants et développent des alternatives viables à l’utilisation des pesticides dans les pays émergents ? Lorsque l’on compare cela aux dégâts occasionnés par les pesticides et les OGM (coton) en Inde et ailleurs, on peut se poser de très sérieuses questions. Que ceux qui préservent réellement la bio-diversité sans appât du gain soient attaqués par ceux là mêmes qui prétendent la défendre, c’est Ionesco qui danse la polka avec Kafka…

Hier, il  semblait qu’un agriculteur, qu’un paysan était quelqu’un qui, depuis environ 18 000 ans, semait, récoltait, conservait une partie de sa récolte pour la replanter, et recommençait la saison revenue. Nous avons dû rater un épisode d’importance, car, apparemment ce cycle n’est plus d’actualité. Un acteur majeur semble s’être invité dans la ronde des saisons, un intermédiaire glouton qui, par son appétit, modifie autant l’économie mondiale que nos modes de vies et le contenu de nos assiettes, ce nouveau Fermier général planétaire qui n’est autre que l’industrie agro-alimentaire.

Les fermiers “Généraux”

Les “grands” semenciers mondiaux sont le tristement célèbre  Monsanto suivi de Pionner, filiale de Dupont de Nemours, Syngeta en Suisse et Limagrain en France dans le Puy de Dôme qui fait un «petit» chiffre d’affaire de 1,3 milliard d’euro . La France n’est pas en reste dans ce palmarès. Premier producteur européen de semences, deuxième exportateur mondial avec un chiffre d’affaire de plus de 2,4 milliard d’euros dont 900 millions à l’international, la filière semencière française se porte à merveille. Surtout lorsque que l’on sait que seulement 73 entreprises se partagent un joli marché qui, pour les plus gros acteurs, ne se limite pas aux semences.

Par exemple, le président de la Fédération Nationale des Syndicats d‘Exploitants Agricoles (FNSEA), Xavier Beulin, qui s’est félicité de l’adoption de cette loi, dirige aussi le fonds d’investissement Sofiprotéol, groupe actif dans la production d’oléagineux (colza, tournesol, soja), la sélection végétale et animale, la chimie verte, les OGM, les huiles alimentaires, les cosmétiques, les aliments pour animaux et les agro-carburants qui représentent quelques 2,3 milliards sur un chiffre d’affaire de 5,6 milliards d’euros. Ce n’est bien sur qu’un exemple qui n’est peut être pas forcement représentatif de la profession…

Les chiffres à l’export des semenciers français sont à la hausse depuis quelques années. Ce n’est pas  non plus un hasard. Les grands groupes achètent de plus en plus de terres cultivables à l’étranger tout en développant les chaînes de supermarchés dans ces pays à la croissance explosive. Les filières agro-alimentaires, européennes comme américaines, supportent cette expansion. Les ventes combinées de produits alimentaires des grandes chaînes comme Walmart, Carrefour, Metro et Tesco atteignent les 705 milliards de dollars. Pour assurer leur approvisionnement localement, ces groupes ne font pas appel à des petits agriculteurs locaux mais bien évidemment à des acteurs capables de leur fournir les quantités et la standardisation nécessaires à leur logistique et besoins marketing. Pour ce faire, quoi de mieux que d’unifier les process entre personnes qui se comprennent. En Inde et au Honduras, Walmart a ainsi confié à Bayer Cropscience, géant allemand et grand amateur de pesticides et d’OGM, la tâche d’unifier les processus de production de ces 700 producteurs lui assurant ce que Wallmart

L’agriculture est désormais une arme

L’intérêt des groupes agro-alimentaires, surtout à notre époque où la nourriture n’est plus leur unique source de revenus (cf agro-carburants, huiles, cosmétique) est d’uniformiser les variétés, pas de tabler sur la bio-diversité. Malheureusement la nature, elle, n’est pas au courant. Les sols, les climats sont tous différents. Produire les mêmes graines pour l’ensemble de la planète est comme donner à un virus un terrain fertile pour se développer. Les changements climatiques changent la donne et on a pu constater les désastres humains, les suicides-150 000- et le tsunami environnemental qui ont fait suite au passage de Monsanto en Inde. Il est peut être temps de regarder la réalité en face, même si elle n’est pas belle à voir.  Lorsque le groupe Coréen Daewoo a tenté de louer, il y a quelques années 1,3 millions d’hectares pour exploiter environ 40 % des surfaces arables de Madagascar, son chargé de mission avait été très clair :” l’agriculture est une arme”. Les Chinois, les Coréens, les pays du Golfe guidés par la nécessité d’assurer leur sécurité alimentaire l’ont compris. Les autres, groupes chimiques, pétroliers, financiers investissent lourdement dans l’agro-alimentaire non seulement parce que la spéculation sur les cours leur a fait gagner de quoi éradiquer la faim dans le monde (j’exagère un peu…) mais surtout parce qu’ils ont compris que le vivant, la terre, l’eau et, pourquoi pas bientôt, l’air, sont les sources de pouvoir de demain.

Le combat des OGM

Après son annulation pour vice de forme par le Conseil d’État,  le Gouvernement a annoncé son intention de reconduire le moratoire sur le mais génétiquement modifié MON 810 de Monsanto. Et, si personne ne doute de la grande importance que le président Sarkozy porte aux questions d’écologie, il est aussi fort probable qu’il soit attentif à quelques mois des élections à ces sondages qui montrent qu’une majorité de français est opposée à l’utilisation des OGM. On le voit avec des exemples comme les indignés à New York ou les soutiens spontanés à Ai Wei Wei en Chine, la vox populi, même si elle n’est pas une solution miracle,  permet d’occuper le seul terrain qui nous soit accessible, celui des médias. Et peut être l’occasion ne pas  laisser les multinationales changer le cours de nos vies sans nous demander notre avis…

Par Matthieu Emmanuel

Pour aller plus loin, voir ou revoir le documentaire brillantissime de Coline Serrault, Solutions locales pour un désordre global

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