21 mai 2015
Bartok versus Mozart, l’excellence à la canadienne

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Après New York, Los Angeles, San Francisco et Chicago, voilà le Canada. De l’autre côté du lac Ontario qui sépare les deux pays, Toronto ne se résume pas à son emblématique tour CN et son antenne culminant à 553 mètres, laquelle fut pendant trente ans, le plus haut édifice du monde, ni à sa dense activité économique- la première de la nation. La preuve avec le Four Season Center for the performing arts, dessiné par Jack Diamond.
Avec ses quarante millions de dollars de budget annuels (environ trente millions d’euros), la Canadian Opera Company ne saurait rivaliser avec le Met ou l’Opéra de Paris dont le budget est huit à neuf fois supérieur : chaque saison présente six productions scéniques, à l’instar de Lyon par exemple, institution au demeurant de taille comparable, si ce n’est, à la manière anglo-saxonne, un financement essentiellement privé. L’aura de l’ institution ne se mesure d’ailleurs pas à l’aune de son public, essentiellement originaire de la métropole et du reste de l’Ontario – la part de public internationale demeure marginale, en dépit de sa proximité avec les Etats-Unis : 2% de spectateurs américains et 0.5% venant d’autres régions du monde.

Un Barbe-Bleue intemporel

Pour autant la programmation n’a nullement à pâlir, et les deux productions de ce printemps 2015 en donnent une remarquable illustration. En premier lieu, la reprise du Château de Barbe-Bleue de Bartok par Robert Lepage, scénographe canadien reconnu aux quatre coins de la planète, qui faisait avec cet ouvrage ses débuts à l’opéra. La démarche très illustrative ne trahit cependant pas ses vingt-cinq ans d’âge : une enfilade de sept cadenas de lumière le long d’une perspective de pénombre comme autant de portes attirent irrésistiblement la curiosité de Judith, comme celle du spectateur. Narratif et efficace, le dispositif soutient la caractérisation des épisodes successifs, autant qu’une musique envoûtante : la direction de Johannes Debus en révèle la clarté dramatique. Face à la Judith intense d’Ekaterina Gubanova, John Relyea fait vibrer le mélange de fragilité et de noirceur qui lutte au cœur de Barbe-Bleue. Assurément un grand moment après lequel l’Erwartung de Schoenberg en seconde partie de soirée se distingue surtout par l’habilité d’une adaptation du monologue en une sorte de fantasme psychanalytique, divan à l’appui, où Krisztina Szabo se révèle tout à fait convaincante. L’humour ne manque pas dans cette lecture onirique d’une pièce qui constitue malgré tout une gageure pour un vaste plateau.

Jeunesse rossinienne

Le lendemain, changement de décor, avec un grand classique du répertoire, Le Barbier de Séville, auquel Joan Font donne de pétulantes couleurs.  Comme un pont au-dessus de l’Atlantique, la coproduction a été présentée à Bordeaux en 2012, avant de venir sur la terre ontarienne. Certes, le jeu comique ne fait nullement défaut, mais a parfois l’allure d’un vêtement un peu trop large, à l’instar de la guitare ou du clavecin rose à taille d’un géant plus que d’un homme. L’ensemble, avec ses décors fluides et fantaisistes garantissent cependant un moment agréable, pimentée par une juvénile distribution vocale – la représentation du 15 mai met d’ailleurs en avant les solistes de l’Ensemble Studio, dont est issu Clarence Fraser, remplaçant le Figaro de Joshua Hopkins, malade ce samedi 9, ou encore le Fiorello de Iain Macneil. Bogdan Mihai affirme l’éclat d’Almaviva auquel ne résiste pas la piquante Rosina de Cecelia Hall. Burak Bilgili, Basilio d’une indéniable rondeur vocale, contraste avec le Bartolo de Nikolay Didenko, à l’identité slave assumée. La baguette de Roy Macdonald participe à l’énergie du spectacle, et confirme le dynamisme de l’orchestre de la maison. Rossini reviendra à Toronto en mai 2016, avec une merveille trop rare, Maometto II, qui présage d’ores et déjà un printemps canadien des plus alléchants.
GL
Canadian Opera Company, Toronto, Le Château de Barbe-Bleue/Erwartung – Le Barbier de Séville, mai 2015

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