21 novembre 2011
Tordre son destin

Les habitants de Nouméa ne verront pas « l’Ordre et la morale ». L’unique cinéma de la ville a choisit de ne pas le programmer. Quant aux spectateurs en France, ils préférent en ce moment faire la queue pour aller voir Intouchables- certes une super bonne comédie en ces temps difficiles (voir critique) mais certainement pas le film d’une vie. Matthieu Kassovitz lui, a bossé sur son script dix ans pour raconter dix jours; ceux qui ont précédés l’assaut de la grotte d’Ouvéa où en 1988 dix neuf Kanaks furent quasiment exécutés. A l’arrivée, il y avait quinze personnes dans la salle ce lundi pour voir comment l’Etat peut devenir un assassin. En toute impunité car ce n’est pas nous, pauvres journalistes, ni Matthieu Kassovitz qui changeront quoi que ce soit à cela. Ni même Philippe Legorjus, ce capitaine du GIGN que l’on suit tout au long de ces négociations-« Notre job, c’est de faire baisser la pression » qu’il espéra devoir mener sans verser de sang. Oui, mais voilà, il y avait en métropole le deuxième tour des élections. Le politique, à 30 heures d’avion de la  était pressé, prêt à tout; obligation de résultat-pas de moyens. « Ca nous dépasse » diront les militaires, pas tellement plus recommandables pour certains que ceux à qui ils obéissent, oubliant que les kanaks restent avant tout des citoyens français. Et pas de seconde classe avec leurs traditions ô combien plus respectueuses de l’homme que les nôtres . Oui, mais voilà, donner un flingue à un homme, c’est toujours dangereux. L’animal se réveille alors et là où il voudrait mordre, il tire. Et tue comme dans le nouveau film The Lady de Luc Besson qui retrace le parcours héroique de Aung San Suu Kyi contre la junte en Birmanie. Ces deux films ont ainsi à coeur de donner à voir des individus confrontés à la violence étatique, donc légale. Et qui choisissent d’accomplir leur destin en s’opposant à l’Etat et son bras armé, les militaires, à moins que l’un et l’autre ne se confondent comme à Rangoon. Mais là où Kassovitz filme avec virtuosité la guerre-la séquence de l’assaut est à ce titre extraordinaire-tout en soignant ses dialogues,« Nous saignons depuis 135 ans dans l’ignorance », « Car si la vérité blesse, le mensonge tue », Luc Besson lui, impose deux heures durant de terrifiants clichés dont on ressort épuisé et furieux que la destinée de cette femme et les moyens employés aient été à ce point gachés. Car de l’argent il y en a dans ces deux films; bal d’hélicoptères un peu ridicule-après Apocalypse Now, la comparaison est de toutes les façons assurément dévastatrice-en Nouvelle Calédonie, reconstitution de la Birmanie pour Besson, les deux réalisateurs ont opté pour du grand spectacle avec des plans hollywoodiens qui rappellent bien des fois les jeux vidéos. Et une musique omniprésente, tambours du Bronx pour Kassovitz, bouillie entrecoupée de Mozart et Pachelbel pour Besson. Séquence émotion serait-on tenté de dire tant les ficelles de The lady sont grosses et prennent le spectateur pour un con. Au point que le méchant soit toujours le même jeune militaire, qu’il tue le père de Suu Kyi en 1962 ou abatte un médecin comme un chien, trente ans plus tard. Et devienne son gardien tout au long de ces années de résidence assignée, toute en longueurs. Besson a voulu tout raconter et sans producteur autre que sa propre femme pour le couper, le film se dilue, se dilue. Ajoutez des dialogues confondants-« Tu n’as pas idée combien de temps j’ai attendu pour te serrer dans mes bras » lui dit ainsi son mari après trois ans de séparation (il a donc attendu trois ans, n’est ce pas?). Les scènes de retrouvailles sont aussi chaleureuses qu’un iceberg, une musique débile omniprésente vous indique quand il faut pleurer,  le manichéisme est de tout les moments et ce n’est pas Michelle Yeoh, magnifique et inspirée ou son mari joué par David Thewlis-exceptionnel, qui sauvent ce film qui avait pourtant un sujet en or, celui de montrer ce qu’est un régime qui tire sur son peuple et l’impuissance des nations libres pour intervenir autrement qu’en offrant le prix Nobel décerné en 1991 à l’opposante birmane après sa victoire aux élections. Dommage car « The Steel Orchid », l’orchidée de fer méritait mieux. Et nous aussi.

Par Laetitia Monsacré

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