21 juin 2012
Alan Riding/The show must go on

Près de 400 pages ont été nécessaires à Alan Riding, ancien correspondant culturel du New York Times à Paris, pour revenir sur cette période pas jolie-jolie de l’Occupation. L’Occupation avec un un grand O et les petites occupations culturelles que les privilégiés durent bien se trouver tout ce temps là, c’est à dire aller au cinéma, au théâtre ou lire pour ceux qui avaient la chance de ne pas avoir juste gagné un  aller simple pour un village lointain répondant au nom d’Auschwitz ou Dachau. Fruit de recherches consciencieuses, Et la fête continue ne prend aucun parti. Pas question ici de juger qui que ce soit pour un auteur, ancien correspondant dans les dictatures d’Amérique latine qui sait mieux que quiconque ce que c’est pour un artiste, un intellectuel que de devoir composer. Il n’empêche, il est édifiant de voir comment la limite est difficile à tracer entre ceux qui furent sympathisants, ou juste pragmatiques. Quant aux résistants, pour la plupart ce fut la mort,  précoce comme pour l’écrivain Jean Prévost ou le réseau du musée de l’homme, des ethnologues qui le payèrent tous de leur vie. A moins que, juifs, ils n’aient d’autre choix que devoir fuir ou finir en fumée.

Tout cela arriva dans un pays où l’auteur le rappelle, les étrangers étaient arrivés en masse, avec une population juive qui avait triplé depuis 1900. Alors,  au début ce fut Céline et ses Bagatelles pour un massacre tandis que les bals furent en 1939 aussi magnifiques que les autres années malgré les premières arrestations dès la déclaration de la guerre pour les artistes qui avaient le tort d’être allemands comme Max Ernst ou le photographe Erwin Blumenfeld, « fouillé jusqu’à la prostate ».

Pas très résistant

Et si personne ne s’inquiétait alors pour les juifs, les tableaux, eux, furent décrochés du Louvre -3961 au total et envoyés à Chambord tandis que la Joconde fut cachée à Louvigny. La drôle de guerre commença avec nombres d’artistes  cherchant à partir à l’étranger, aidés notamment-contre leurs oeuvres- par Peggy Guggenheim, puis par un américain providentiel Varian Fry et ses fameux « visas de secours ». Les allemands à Paris, toute une partie du monde culturel migra dans le sud, à l’exception notable de Paul Leautaud qui ne voulut pas « abandonner ses nombreux chiens et chats ». Mais très vite, Alan Riding explique comment l’idée vint aux allemands que les français et particulièrement les parisiens seraient plus faciles à gérer si l’on continuait à les divertir. Les spectacles revinrent donc avec les croix gammées en plus tandis que les biens des juifs étaient confisqués et qu’ils n’avaient plus le droit à aucune activité culturelle. Joséphine Baker stoppa net, ce fut la seule. Le Corbusier, Lifar-qui vit son salaire tripler à l’opéra du fait de ses amitiés allemandes, Cocteau, Guitry, Bonnard, Darrieux, Giono furent eux bien passifs tandis que dès 1943, un journal polonais rapportait les horreurs d’Auschwitz. Florence Gould elle tenait salon avec intellectuels français ou allemands dont l’un n’était pas étranger aux convois. D’autres artistes n’hésitèrent pas à aller visiter l’Allemagne sur invitation des autorités comme Derain, Van Dongen, Paul Belmondo ou Paul Landowski qui a donné son nom au centre culturel de Boulogne Billancourt. 2242 tonnes de livres furent brûlées et Bernard Grasset écrivit « partager beaucoup de leurs sentiments « en parlant des allemands…Ainsi la vérité c’est que pour la plupart des écrivains, la guerre « resta un histoire de mots » et à part Paulhan, rares furent ceux qui s’engagèrent. Puis la guerre toucha à sa fin avec un dernier convoi de peintures saisies que les allemands tentèrent d’emmener, sans succès alors que les trains contenant les juifs, eux passèrent. Un toile valait assurément à l’époque plus qu’une vie…

LM

Et la fête continue de Alan Riding-chez Plon- 23,90 euros

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