14 juin 2012

Ca y est, enfin, tout est claqué.
Claqué en frais de notaires, hypothèques… en charges, honoraires…
Ça fait du bien, on y voit clair…
Faut bouger, dans la vie faut bouger nom de dieu !
Bouger, bouger, sinon on reste les doigts dans le cul on gobe les mouches.
Faut bouger, prendre possession, puis vider les lieux …
Vider les lieux en remplir d’autres…
Vider, remplir, vider, remplir… et personne touche à rien je trimballe tout !
Un tas de planche…
Ce tas de merde au départ c’était du bon mobilier, maintenant un tas de planches à foutre en l’air… à la décharge tout ça… monté, démonté, remonté – bien branlant…
Regardez les biceps ! Les rotules… hein ?… j’ai le squelette tout pareil… articulations pétées de partout !
Masses levées à la force du poignet… deux, trois, quatre, cinq étages, marches à marches, à monter, à descendre.
Et encore, et monter, et descendre… à la diable, avec les biceps…
Eh eh ! …mon diable ! …qui me suit partout ! …me précède partout ! Je peux compter dessus !
Me doit tout  petit bonhomme… et inversement…
Pas le temps de chômer…
Au début ça allait,  j’avais pas vu ça venir ; c’était un peu mieux plus haut… ou l’immeuble en face… ou un peu plus loin…
Puis ça a empiré, un peu, un petit peu.
Et là j’ai rencontré mon diable… on s’est enfin trouvés : je pouvais tout faire à la main…
Alors !
Alors !
Une vraie possession, une frénésie !
A part mon diable personne touche à rien, à rien de ce qui m’appartient… et qu’on me foute la paix… la paix, la paix, la paix !
Faut que je déménage et que j’emménage partout, c’est tout…
Mon diable, mon coquin… tu l’aimes hein ton pépère !  Que toi qu’est solide : on peut compter sur rien : le reste aux ordures.
Plus un sou, plus rien: fini, tout claqué : notaires, agents, syndics…
Au début j’étais dans mon centre mais après je suis sorti un peu de mon centre, c’est moins cher…
plus loin : c’est moins cher…
encore plus loin, encore moins cher…
m’en foutais de mon centre !
Moi ce que je voulais c’est prendre possession, aller partout, investir tous les lieux, les abords, les périphéries.
Le maître de l’extension ! ça c’est à moi… ça aussi c’est à moi… là, et là … et là et là et là … j’ai vécu partout !
Tous les bâtiments, tous les porches, tous les escaliers !
Investi les quartiers, à rebours, en escargot, de plus en plus reculés, miteux, déserts, crados…

tout à moi ! En route vers les ZI, les décharges, la vidange, on va assainir tout ça.
Avec mon diable on est soudés tous les deux …  ma chair, ma protubérance en quelque sorte… indéfectibles, jamais trahis… on a tout monté tout descendu, des centaines et centaines de voyages ! On a habité là… et là pendant quinze jours… et là un peu plus loin… là, à côté aussi, à 2 rues,  un gros mois…
et derrière encore…
avant c’était là-bas, tout là-bas-là-bas, presqu’au centre, au moins un bon deux mois et demi ! Il y a longtemps…
Puis fini les pauses, l’avachissement béat, fallait se bouger le cul… d’ailleurs faut se bouger le cul, pas le temps de jouer les poètes !

Là tout aux ordures : plus rien qui tient debout : la grande purge, le grand ménage : plus un rond, sec… sec mais j’ai mon coquin à pépère !…

On va finir la route ensemble dans l’entrepôt là… le désaffecté… eaux usées, autoroute à quinze mètres : les étrons et le gas-oil : parfait ! Plus rien à faire avec les vivants…

Ici c’est la queue de l’escargot, l’anus artificiel, le bout du bout du suburbain… là où ça pue où ça patauge.

Pour moi c’est la fin de la digestion, l’évacuation du boyau culier…  logique… une fin de série…faut bien que ça se termine un jour …

J’ai perdu mon centre il y a perpète ; et petit à petit les facultés… tout est broyé là-dedans, la caisse est foutue, la tête vide mais quand je flanche mon diable me soutient.

C’est qu’on se berce de bien des illusions : tout posséder !

Pourtant j’ai pas pu faire autrement : j’ai été saisi, j’ai jamais su pourquoi.
Plus qu’un effort et je vais pouvoir me reposer là-haut… grimper par la trappe de désenfumage…le zinc de la toiture… y’a plus qu’à caler les roues dans la gouttière, attendre que ça casse… et planer…

Au moins j’ai compris ça : ma fin … parce que les autres, les vivants là-bas ! Savent pas qu’ils sont tout comme moi, au bord du précipice ! Seulement ils regardent ailleurs !
Tout posséder, tout investir, la frénésie, les vanités !

Le grand squelette aussi pète de partout… Eh eh ! Le monde durera pas longtemps.
D’abord bien caler les roues, mon coquin mon fils mon frère prends moi dans tes bras, on va fixer le vertige et partir tous les deux…

Laisser la grande diablerie aux civilisations … faut sortir discrets, tirer la chasse.
Et jouir une dernière fois de nos folies… ne plus savoir celle des hommes…

 

Par Sisigmond Tartempion

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