19 juillet 2013
Sudiste, chapitre un

Le Festival pieds nus. Cette édition 2013 qui touche à sa fin dans la Cité d’Avignon a été marquée par une rare chaleur en ce mois de juillet. Et que ce soit pour le « in » ou le « off », il fut plus que tentant de se déchausser dans des salles qui apportaient fraicheur ou pour celles en plein air, la chaleur lourde d’une soirée où le mercure ne descend pas. Cela a-t’il aidé le public à être plus ouvert? Plus réceptif? Voilà en tout cas une belle cuvée avec un seul regret: ne pas pouvoir tout voir. Impossible en effet de répondre à tous les appels de ces tracts dans les rues, à donner suite à toutes les promesses des programmes. Alors pour choisir, il convient de lâcher prise et de se laisser aller au gré des occasions. Et des horaires, avec ce constat qu’entre manger ou voir des pièces, il faut choisir. La pause Pastis devient également aléatoire même si à 2 euros, celle-ci est ici moins chère qu’une bouteille d’eau…

La philosophie se fait ludique

Côté « in »-avec une quarantaine de propositions- on attendait Stanislas Nordey dans la Cour d’honneur qui paraît-il a un peu déçu; le bouche à oreille a quant à lui élu Julien Gosselin et ses Particules Elémentaires, adaptation en plus de trois heures du livre de Michel Houellebecq à découvrir « hors les murs » grâce à des navettes, la cité étant trop petite pour accueillir tous les spectacles… Le Projet Luciole de Nicolas Truong donné à la Chapelle des Pénitents blancs d’Avignon (à ne pas confondre avec celle d’Aix, magnifique annexe toute récente du Musée Granet à découvrir dans notre rubrique Cimaises) a également rencontré un beau succès -ô combien mérité- avec ce constat: les philosophes peuvent vous apporter autant de plaisir qu’un demi pris en terrasse, surtout lorsqu’ils sont servis avec humour et talent par Judith Henry et Nicolas Bouchaud dans une mise en scène très ludique- à retrouver en novembre au Théâtre Sylvia Montfort.

Du sombre et des lumières

Dans un registre bien différent et très noir, le metteur en scène belge Jan Lauwers, un habitué du festival a donné dans l’enceinte du cloître des Carmes sa dernière création Place du marché 76; un spectacle souvent difficile à supporter pour un public piégé dans les gradins deux heures et demi durant, pas toujours au fait, en achetant sa place il y a des mois, qu’il tomberait sur une fable sombre et glaçante le confrontant à la fois à la pédophilie, le handicap physique, le suicide et la perte de son enfant…Voilà en tous cas qui donnait une impression de trop plein et de malaise que l’inventivité de la mise en scène et la qualité des acteurs compensait toutefois pour cette première en France dont on devrait  à nouveau entendre parler. Autre lieu mystique, La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon accueillait dans la fraicheur de sa cave-qu’il fallait mériter en s’expatriant des murs de la cité et en supportant les embouteillages sur le pont- un petit bijou de pièce écrit et joué par Séverine Fontaine, Regard, manifeste drôle et émouvant sur la différence, servie par un jeu de lampes inspiré- à découvrir dès la rentrée à la maison des Métallos à Paris.

La place de l’homme noir

Du très bon théâtre donc, mais aussi de la danse comme pour Logobi 05, jouissive confrontation entre deux danseurs-l’un européen-Richard Siegal qui travaille avec William Forsythe, l’autre africain-Franck Edmond Tao, au cours d’une improvisation irrésistible et percutante devant un public conquis.  Enfin côté expositions, Exhibit B sera sans doute le choc de cette année 2013. Nathalie Kosciusko Morizet dans son court passage, histoire de ne pas laisser toute la place à Aurélie Filippetti, aura sans doute passé trop de temps avec Marie-Josée Roig, maire UMP d’Avignon pour aller voir ce cabinet de curiosité montrant de vrais hommes et femmes vous regardant dans les yeux pendant votre déambulation dans l’Eglise des Célestins; un zoo humain imaginé par le sud africain Brett Bailey, et pour la première fois exposé en France afin de découvrir le triste sort fait aux noirs depuis l’esclavagisme jusqu’à aujourd’hui, où ligotés sur un siège et la bouche scotchée, on les renvoie sur nos avions de ligne dans leur pays. Quant à Sophie Calle, elle avait investi avec ses animaux empaillés et ses objets personnels le ravissant et très exclusif Hôtel de la Mirande pour recevoir dans sa chambre 20 de 10 heures à 21 heures ceux qui avaient la chance d’avoir un ticket ou la patience d’attendre sous le cagnard-38 ° quand même.

De Sagan à Groucho Marx

Et le off? Avec des représentations de 9h20 à minuit, il était impossible de ne pas se laisser séduire par des pièces manquées à Paris ou créées ici. La chance étant avec nous, Jim le Pariser n’a vu que de bonnes choses. De Françoise Sagan à Etty Hillesum, de Marie Tudor à Groucho Marx, avec toutefois un regret: ne pas avoir le don d’ubiquité tant dans les milles et une propositions du catalogue de 400 pages ou les tracts distribués et autres affiches dans toute la ville se cachaient sans doute des pépites. Le bouche à oreilles jouant, c’est sans cesse que l’on se dit ici « je vais aller voir cela » et que la nuit s’avance sans avoir pu le faire. D’autant que le mode d’emploi s’impose: certaines pièces affichent complet tous les jours- Le Lien, La liste de mes envies, La Compagnie des Spectres, Marie Tudor, d’autres ne nécessitent aucune réservation malgré leur qualité, Ma Sagan ou Confession d’un amant lamentable, certaines sont jouées les jours uniquement pairs- Pourquoi j’ai mangé mon père ou données « hors les murs » avec une navette qui ne permet aucun retard comme Hold on, création 2013 qui, revenant sur la standardisation du travail, semblait être le « buzz » de cette année. Heureusement, l’année prochaine devrait redonner le mieux de 2013 et Paris d’accueillir les pièces qui auront touché les professionnels venus ici faire leur marché. Cela, même si la qualité et le talent ne suffit pas toujours dans ce milieu théâtral d’autant plus impitoyable qu’il est désormais lui aussi touché par la crise avec une édition morose en terme de places vendues malgré qu’elles soient à moins de 20 euros. Voilà qui n’est pourtant pas cher pour sortir de « soi  » et se nourrir le cerveau.

Par Laetitia Monsacré

Toutes les infos sur www.avignonleoff.com pour le Off qui dure jusqu’au 31 juillet et et sur www.festival-avignon.com pour le « in » qui finit le 26 juillet

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