20 avril 2017
Strasbourg enregistre Les Troyens de Berlioz

 

Strasbourg entretient une certaine fidélité à Berlioz. La cité alsacienne fut ainsi la seule dans l’hexagone à programmer un cycle des ouvrages lyriques du compositeur français dans la foulée du bicentenaire de sa naissance en 2003. Dans ce désamour relatif pour le musicien romantique, Les Troyens paient souvent le tribut de sa réputation d’être trop exigeant en temps et en moyens pour la plupart des théâtres, même si avec une durée d’environ cinq heures, entractes inclus, le spectacle s’inscrit dans les standards wagnériens, voire légèrement en-deçà – au demeurant, Nicholas Snowman avait programmé à la fois le Ring et la fresque berliozienne quand il était à la tête de l’Opéra national du Rhin.

C’est donc presque naturellement que Warner s’est tourné vers l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg – lequel officie régulièrement par ailleurs dans la fosse de la Place Broglie – pour enregistrer le grand œuvre de Berlioz avec la fine fleur des voix discographiques du moment, sous la houlette de John Nelson, un des spécialistes incontournables de Berlioz. Rendez-vous a donc été donné salle Erasme dans un Palais de la Musique et des Congrès qui a bénéficié de substantielles rénovations côté technique, à l’image d’une salle de répétitions aux dimensions du plateau pour améliorer les conditions de travail des interprètes.

Si d’aucuns regretteraient l’absence de mise en scène, la version de concert présente l’avantage de ne pas être soumis à des caprices de dramaturges, mettant en péril l’intégrité de la partition – et sur ce chapitre, Les Troyens sont assez souvent malmenés, entre autres par des coupes dans les ballets et autres passages orchestraux jugés décoratifs. Le chef américain a privilégié la cohérence, et n’a pas touché à la mouture consacrée par l’édition. Sa lecture s’attache à la fluidité de l’écriture orchestrale, fondant les détails de l’instrumentation dans une efficacité dynamique, tout en soutenant un plateau vocal qui fait honneur à l’intelligibilité du texte.

Honneur au style français

Michael Spyres se distingue avec un Enée d’une élégance très française trop rare aujourd’hui : l’héroïsme n’a pas besoin d’un volume d’airain pour porter loin l’éclat souple et subtil du guerrier tombé dans les rets de l’amour. L’exceptionnelle justesse du style forge une incarnation complémentaire de légendes parfois plus robustes. Endosser le pathos de Cassandre constituait à coup sûr une gageure pour Marie-Nicole Lemieux, que la mezzo canadienne relève avec un engagement évident, quitte à déborder parfois de la contenance de la prêtresse au cours d’un sacrifice final néanmoins frappant d’émotion. Le solide Chorèbe de Stéphane Degout lui donne la réplique. Primadonna de la seconde partie, Joyce DiDonato fait la démonstration de son métier accompli en Didon, ciselant l’évolution psychologique de la reine amoureuse puis délaissée, jusqu’à une explicitation un peu trop franche ça et là.

Les rôles que l’on pourrait, à tort, qualifier de secondaire, ne sont aucunement négligés. Outre la séduisante Anna de Hanna Pipp, au timbre charnu, c’est aux meilleurs gosiers de la nouvelle génération du chant français que l’on a fait appel. Marianne Crebassa se joue de la juvénilité innocente d’Ascagne, quand Stanislas de Barbeyrac, Hélénus au premier acte, nourrit la mélancolie de la berceuse d’Hylas au cinquième. Cyrille Dubois se concentre sur la finesse mélodique de Iopas. On saluera encore la carrure du Narbal campé par Nicolas Courjal, ainsi que le Panthée de Philippe Sly, peut-être en cours de maturation. Jérôme Varnier et Frédéric Caton en sentinelles et la fascinante ombre d’Hector chantée par Jean Teitgen depuis les coulisses complètent un tableau auquel on peut ajouter Bertrand Grunewald et Agnieszka Slawinska, Priam et Hécube, ainsi que les interventions soldatesques de Richard Rittelmann. Réunissant les forces du Choeur de l’Opéra national du Rhin, du Badischer Staatsopernchor et du Choeur philharmonique de Strasbourg, les ensembles affirment une puissance qui n’ignorent pas la diction, à défaut de nuances délicates à rendre dans la configuration acoustique d’une salle Erasme que le week-end pascal a probablement privé d’un remplissage optimal pour ce qui demeure l’événement de la saison, non seulement strasbourgeoise, sinon bien au-delà.

Par Gilles Charlassier

Les Troyens, Strasbourg, 15 avril 2017

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