25 mars 2014
Steve Jobs, l’opéra

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Un rappeur à l’opéra pour un livret sur le fondateur d’Apple? C’est la gageure que Serge Dorny et l’Opéra de Lyon ont voulu relever avec Oxmo Puccino en s’associant au festival Biennale en scènes qui se tient jusqu’à la fin du mois de mars dans l’agglomération lyonnaise. La création a été confiée au directeur du Théâtre de la Renaissance d’Oullins, Roland Auzet, compositeur qui emploie une large palette de moyens en s’inspirant d’un ouvrage sur la vie de Steve Jobs, deux ans seulement sa disparition, véritable icône des nouvelles technologies et désormais de la scène lyrique.

Un opéra résolument contemporain

L’usuel rappel à déconnecter les portables prend une tournure particulière quand la soirée s’ouvre sur un décor estampillé à l’effigie de la pomme. Steve Jobs, joué avec talent par un Thibault Vinçon presque clone de son personnage, se sait malade et s’enferme dans les toilettes pour dissimuler sa maladie à ses collaborateurs. Mais le Cancer – Michael Slattery, ténor à la vocalité aussi stupéfiante que l’extravagance cynique de son costume et de ses lunettes – « veille » sans relâche sur lui. Manager intraitable, il congédie Billy Bud qui croyait pourtant « être le meilleur ». Entre slam, rap et déclamation théâtrale, Oxmo Puccino incarne le calme imperturbable, presque « stone », d’une victime de l’impitoyable réalité économique, qui rattrapera mot pour mot Steve Jobs comme un boomerang au moment où l’entreprise jugera son patron trop affaibli. Nul besoin d’appuyer le propos, les situations se suffisent à elles-mêmes. Les échos shakespeariens d’Henry V, roi guerrier auquel s’identifie le héros en fin de vie dans sa lutte contre la mort et pour sa multinationale, brouillent alors les limites entre réel et virtuel, à l’image de la partition qui joue sur les frontières entre théâtre, musique, performances scénique et vidéo, invitant chacun des interprètes à aller à la périphérie de son identité artistique.

Un pont entre traditions et modernité

D’une conception qui aurait ainsi pu jouer l’affiche, Roland Auzet a tiré un spectacle aussi polymorphe que cohérent. Les courtes incises électro ne mendient jamais une modernité gratuite, tandis que les sections chorales, dévolues aux solistes du studio de l’Opéra de Lyon, excellemment préparés par Jean-Paul Fouchécourt, et parmi lesquels on retiendra en particulier le contre-ténor Igor Chernov et le baryton Mathieu Gardon – qui avait été nommé aux Victoires de la musique – rappellent les consorts de la Renaissance anglaise. On reconnaît dans la maîtrise de l’informatique musicale une assimilation des recherches de l’Ircam où la technique sert l’efficacité expressive. Saluons également le travail de Philippe Forget à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, souvent dissimulé en fond de scène et qui réussit à ne jamais se faire oublier. A la croisée des genres, Steve V offre une synthèse originale où le passé se mêle au présent, l’art à la technologie : un objet lyrique qui ne cherche pas à être identifié et enjambe le fossé communément établi entre écriture savante et pratique populaire. Preuve que l’opéra n’est pas mort, et qu’il est bien plus ouvert au monde qu’on ne veut le faire accroire.

Par Gilles Charlassier

Steve V, Théâtre de la Renaissance, Oullins, festival Biennale musique en scène jusqu’au 29 mars 2014

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