1 mai 2015
Spectaculaire Jenufa à Bologne

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La mise en scène d’opéra peut désormais compter un grand nom de plus : Alvis Hermanis, directeur du Nouveau Théâtre de Riga, et que Bastille découvrira en décembre prochain dans La Damnation de Faust. Si ses premiers pas dans le répertoire lyrique se sont faits au festival de Salzbourg en 2012, avec Les Soldats de Zimmermann, c’est la Jenufa qu’il a réglée pour la Monnaie de Bruxelles qui l’a résolument consacré, dans une production que reprend le Teatro Comunale de Bologne en ce mois d’avril.

Un spectacle d’art total
A rebours du réalisme cru qui prévaut aujourd’hui dans les ouvrages de Janacek, la production d’Hermanis ne recule pas devant la profusion visuelle, sinon spectaculaire. Anna Watkins a reconstitué de manière documenté le folklore morave, tandis que les projections vidéos d’Ineta Pipunova, toutes en volutes et motifs floraux, renoue avec l’esthétique Jugenstil, contemporaine de la création de Jenufa, au milieu des années 1900, sans oublier la chorégraphie d’Alla Sigalova, dont on pourra voir les emprunts à Nijinski et aux Ballets russes. Mais cette accumulation sait ne pas verser dans le kitch qui la menace, grâce à une véritable intelligence dramaturgique, d’une indéniable sensibilité.
Les frises se meuvent au gré de la musique et de l’action, fluides et à vive allure pendant la fête au premier acte, de manière nettement ralentie quand survient le drame : la conscience de la fragilité de l’existence, le poids du malheur altère le flux de la vie, ainsi que la perception du temps par le spectateur. Par contraste, le deuxième acte, dans l’intimité de la maison de la sacristine, sa belle-mère, où Jenufa s’est réfugiée pour cacher sa grossesse et mettre au monde l’enfant de Steva, ne recule pas devant un certain naturalisme. Le dernier acte, qui revient à la représentation sociale, retrouve l’imposante scénographie du premier.

Retour à un Janacek authentique

Dans le rôle-titre, Andrea Dankova rend perceptible les nuances psychologiques du personnage, de l’orgueil à la vulnérabilité de la femme meurtrie. Ales Briscein fait retentir la veulerie et l’inconstance de Steva, qui refuse se marier à la jeune femme, une fois blessée de manière indélébile à la joue par son demi-frère Laca, où Brenden Gunnell  se montre pataud et touchant à la fois. Angeles Blancas Gulin souligne la complexité et les remords de la Kostelnicka, tandis que Gabriella Sborgi affirme en nonne une vocalité plus homogène. Evoquons encore la légèreté de Leigh-Ann Allen en Karolka, ou la fraîcheur de Jano, le berger. Si on peut saluer les chœurs, c’est surtout la direction de Juraj Valcuha que l’on retiendra. Tirant le meilleur d’un orchestre aux sonorités un peu girondes et que l’on n’attend pas dans Janacek, le jeune chef slovaque éclaire l’originalité du compositeur tchèque, son expressivité économe  et inimitable, dégraissée de tout romantisme intempestif, l’éclat parfois tranchant et minéral de ses conclusions : indéniablement, une baguette à suivre.

Par Gilles Charlassier

Jenufa, Bologne, avril 2015, et La Damnation de Faust, Paris, décembre 2015

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