31 août 2016
Sinfonia en Périgord illumine le baroque germanique

Chancelade_abbaye_nef_4

Rendez-vous des amateurs de musique baroque au cœur de la gastronomie périgourdine, Sinfonia cultive depuis plus d’un quart de siècle la gourmandise musicale, jusque dans des répertoires parfois jugés, à tort, austères. Baignée par une canicule tardive, la journée du 23 août en témoigne de façon admirable dans l’abbaye de Chancelade, fonds baptismal du festival à l’acoustique favorable, auquel ce dernier reste attaché au fil des années. La fidélité est d’ailleurs l’une des vertus de David Théodoridès, le directeur artistique, dont les deux concerts de ce mardi offrent un bel exemple. Si Benoît Haller et La Chapelle Rhénane donnent, huit ans après leur première venue, une nouvelle version de la « Rose des vents », programme construit autour de Schütz, compositeur qu’ils n’ont de cesse de défendre, c’est un invité régulier, sinon incontournable, de Sinfonia, Michel Laplénie et son ensemble Sagittarius, qui entament ici, après trente ans de carrière une tournée des adieux, avec le cycle Membra Jesu Christi de Buxtehude : les symboles ne manquent pas en ce soir d’été.

Une journée sous le signe de symboles

L’après-midi offre ainsi aux auditeurs un panorama de la musique sacrée germanique, de Schütz à Bach, en passant par Buxtehude. Si le motet d’ouverture, Ich weiss, dass mein Erlöser lebt, à l’instar d’autres pages du recueil, déploie une sobriété solennelle, accompagnée par le trombone ou le cornet à bouquin, la monotonie n’est pas de mise dans l’inspiration du compositeur, qui n’hésite pas à pasticher l’écriture madrigalesque de Monterverdi dans Es steh Gott auf, extrait des Symphoniae sacrae, que Benoît Haller détaille par sa diction ciselée. Les trois duos puisés dans les cantates de Bach font valoir la complicité qui lie les voix de Salomé et Benoît Haller, exaltant la spiritualité jubilatoire du Cantor de Leipzig, tandis que la soprano distille la beauté du lamento Ach, dass ich Wassers gnug hätte de Johann Christoph Bach, grand oncle de Johann Sebastian.

Sinfonia des adieux

C’est d’ailleurs avec ce même morceau que Michel Laplénie et Sagittarius ouvrent la soirée, qui en donnent une lecture très différente, privilégiant à l’intimité conviviale de La Chapelle Rhénane une captivante intensité dramatique, mêlant ferveur et théâtralité intérieure, relayé par l’expressivité virtuose de Rodrigo Ferreira, lequel rejoint ensuite les neuf autres solistes des choeurs pour le Membra Jesu Christi de Buxtehude. La formation aquitaine rend sensible l’architecture de l’ouvrage et la progression du sentiment au fil des septs blessures du Christ sur la croix. La plénitude lumineuse de cette magnifique partition révèle ici quelque parentée avec le baroque versaillais – sur lequel Lully a sans doute importé un soupçon d’italianité – jusqu’à une conclusion rédemptrice confirmée par la Cantate de la Résurrection, ultime point d’orgue d’un cheminement qui aurait pu aisément faire l’économie d’un entracte, tant les interprètes nous plongent au cœur du théâtre religieux, sinon mystique, de Buxtehude. Assurément, Sinfonia fait souffler un vent méridional sur le baroque luthérien, renouvelant, discrètement, le paysage musical : là réside l’un des secrets de la légitime pérennité.

Par Gilles Charlassier

Sinfonia en Périgord, du 22 au 27 août 2016

Articles similaires