5 novembre 2014
Shell Shock à Bruxelles, la Première Guerre Mondiale à l’opéra

Sidi Larbi Cherkaoui Shell Shock

Centenaire oblige, la Première Guerre Mondiale s’invite sur les scènes lyriques. Si certaines confondent parfois devoir de mémoire et nostalgie, ce n’est assurément pas le cas de La Monnaie, toujours sur le pont de la modernité et de l’innovation artistiques, valeurs que le gouvernement fédéral belge semble avoir quelque peine à entendre, au vu des coupes budgétaires unilatérales récemment exigées.
En confiant ce «Requiem de Guerre » à Nicholas Lens et Nick Cave, Peter de Caluwe répare une injustice à l’endroit du premier, compositeur natif d’Ypres – haut lieu de combats qui a d’ailleurs donné son nom au gaz moutarde, l’ypérite – et qui n’avait encore jamais été programmé par une maison belge, tandis que le second, figure reconnue de la chanson et de la musique de film, se voit ouvrir pour la première fois les portes  de l’opéra.
Au fil de ses douze « cantos », Shell Shock condense l’actualité du premier conflit globalisé, en donnant  la parole aux protagonistes et aux victimes collatérales – le soldat colonial, le soldat, le déserteur, l’infirmière, les morts, les survivants, les orphelins… Chacun des chants suit une structure similaire, amplifiant la reprise du thème initial par le chœur, et par là son émotion. Si quelques passages sacrifient un peu au stéréotype pacifiste, l’évocation de la fragilité et de l’impuissance face au destin atteint souvent une touchante poésie, et les dernières paroles de l’orphelin, s’égrenant jusqu’au silence, nouent la gorge par leur dépouillement qui tient lieu d’innocence.

Emotion contemporaine

La partition musicale, essentiellement d’inspiration tonale, fait parfois songer à Kodaly, entre autres rythmes d’Europe centrale, porte les mots avec efficacité, et invite à entrer dans ce qui s’apparenterait presqu’à un cercle rituel. La mise en scène et la chorégraphie de Sibi Larbi Cherkaoui y contribuent, même si elles s’en tiennent parfois à souligner les affects et les situations. Certaines images frappent cependant, à l’instar des soldats tombés à la guerre au travers de leurs formes vides, découpées dans le décor, ou encore ces corps qui dévalent les degrés de l’estrade comme une sorte de tableau d’honneur.
Côté solistes, on saluera la candeur et l’expressivité de Claron McFadden. Sara Fulgoni affirme un mezzo caractérisé. Gerald Thompson use de son contre-ténor pour faire retentir la détresse, tandis que le ténor Ed Lyon ne démérite pas et Mark S. Doss est une basse à l’impact attendu. Les enfants soprani apportent une délicate touche diaphane. L’orchestre et le chœur de La Monnaie, placés sous la direction de Koen Kessels, participent à la crédibilité d’un spectacle qui, sans témoigner d’une  audacieuse originalité, ne se mesure pas seulement à l’aune des circonstances qui l’ont commandé. L’émotion éprouvée par le public à son issue indique qu’il a atteint son principal objectif : la création contemporaine n’a rien d’élitaire.

Par Gilles Charlassier

Shell Shock, Théâtre royal de La Monnaie, Bruxelles, jusqu’au 2 novembre 2014

 

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