Sous un soleil de plomb, dans le désert, des enfants africains sortent de trois gros 4X4 pendant que des Français sont embarqués par des militaires tchadiens pour être emprisonnés. Les Chevaliers blancs est donné pour sa première séance publique devant une salle clairsemée, séance de 10 heures oblige. Reste que ce film ne sera sans doute pas un grand succès malgré la promotion appuyée faite par Vincent Lindon tant il donne à voir avec trop de justesse- et donc d’exigence envers le spectateur, le film durant près de deux heures- la complexité de l’engagement humanitaire. L’attente, les frictions qui naissent d’elle, l’épreuve du terrain, l’érosion des certitudes, l’aveuglement qui se confond avec l’idéalisme, la volonté d’agir, Joachim Lafosse est un maître dans l’observation des rapports humains et des points de rupture. Il avait déjà excellé à cela dans son dernier film A perdre la raison, avec la mise en abîme d’une mère jusqu’à l’infanticide. Après la merveilleuse Emilie Duquenne, c’est Louise Bourgoin et Valerie Donzelli que le réalisateur belge a choisi pour incarner la fin de leurs illusions et le début de leur dérive aux côtés de Vincent Lindon qui confirme une fois encore l’évidence de son jeu; il ne joue pas, il « est « ce chef de groupe, entier dans sa maladresse et dans sa générosité qui a choisi de ne pas juste « soulever la poussière », expression bien connue des humanitaires en référence au HCR et autres officiels qui arrivent en hélicoptère et repartent immédiatement.
La France, eldorado?
Il est aussi ce blanc qui ignore tout de l’Afrique, de sa culture et de ses dangers. Et qui pense comme les autres membres de son ONG que la meilleure vie possible pour ces enfants est à des milliers de km de là; loin de leur famille, de leur village et du soleil, parachutés dans un pays où règne six mois dans l’année le gris et le froid comme celui qui vous agresse en sortant de la salle de cinéma. A quelques mètres de là, on aperçoit des hommes condamnés à être des sandwichs pour vanter une start-up de restauration à domicile. Derrière eux, sur les marches de l’Eglise Saint Philippe du Roule, un homme avec son chien fait la manche. Sur les affiches de la rue du Faubourg Saint Honoré Natalie Portman est » Jane with a gun », héroïne hollywoodienne d’un prochain western, à retrouver juste sur d’autres affiches comme l’égérie d’une marque de cosmétique de luxe; le même visage parfait pour vendre ce que notre société pense avoir de si formidable à offrir. Et de si supérieur à des hommes et des femmes voilées qui dans le désert africain peinent à avoir à manger, quand ils ne craignent pas pour leur vie face à la violence des milices, dans un Etat qui est en guerre comme le nôtre le serait également, aux dires de notre Premier Ministre. D’ailleurs, devant l’Elysée, on ne passe plus; taxis, scooters et autres limousines transportant les riches clientes pour les boutiques Saint Laurent, Hermès ou Chloé doivent faire le détour.
L’art pour sauver le monde
Un peu plus loin, sur la place de la Concorde, la sculpture de 30 mètres Phares de la jeune et lumineuse Mylène Guermont semble dialoguer avec l’obélisque, protégée du vandalisme par des citronniers aux branches épineuses. En la touchant, on peut la faire briller au rythme de son pouls tout comme l’on entend des rires d’enfants en caressant son Cristal A, une sculpture en béton vivant présentée au Musée de la Minéralogie. « La beauté va changer le monde » a dit Renzo Piano aux obsèques de Pierre Boulez. Car, comme l’a ajouté Fleur Pellerin lors de ses voeux ce mercredi rue de Valois: « Si nous ne répondons pas par la culture, qui le fera? ».