16 février 2012
Initiales S.B.

 

Elle est là dehors, malgré le froid polaire, coiffée d’une toque, prête à griller une cigarette. Souriante, les yeux brillants comme lorsqu’elle joue la passion sur la scène du théâtre des Mathurins. Sarah Biasini, les mêmes initiales que Sarah Bernhardt,  joue Zweig et ça lui va drôlement bien- donner vie aux mots de cet auteur qui décrivit mieux que quiconque les destins d’hommes et de femmes. De ceux qui vous broient comme dans la nouvelle adaptée au théâtre par Christophe Lidon, Lettre à une inconnue. Une passion pour un homme jamais avouée, une amoureuse oublieuse d’elle-même qui enfin, lui raconte, dans une lettre, son amour pour lui, magnifique et secret; et qu’ elle vient de perdre leur unique et jeune enfant. Sarah, elle, a perdu sa mère à quatre ans et demi. Une mère qui s’appelait Romy Schneider et à laquelle le haut de son visage rend merveilleusement hommage. La mâchoire elle, est plus carrée, volontaire, et semble taillée pour mordre dans la vie. Ce dont elle ne se prive pas, jouant sur les planches après avoir longtemps hésité à être comédienne- « pas vraiment convaincue » que ce serait une bonne idée. A la voir s’abandonner et nourrir son personnage de sa propre fêlure qu’elle semble avoir si  bien apprivoisée, on est heureux qu’elle ait fait ce choix. Et d’être là, dans ce café de l’autre côté du Théâtre des Mathurins, face à elle, pour profiter de cette énergie solaire mais délicate qu’elle dégage, une petite heure avant la représentation du soir.

Comment vous sentez-vous  avant d’entrer en scène?

Un quart d’heure avant, le trac arrive; j’écoute alors de la musique live pour me mettre dans l’énergie. Je trouve ça inspirant pour être ensuite prête.

La musique du café, justement, couvre notre conversation. Elle me demande alors si je veux que l’on baisse la musique, un peu chez elle dans ce café où elle tutoie le serveur. Et éclate de rire devant mon hésitation.

La lassitude? (elle joue la pièce depuis l’an dernier) Non, parce que c’est un texte magnifique; il y aura toujours des femmes qui aimeront en cachette un homme à la folie, il y aura toujours malheureusement des femmes qui perdront un enfant, donc c’est universel. C’est la troisième fois que je travaille avec ce metteur en scène et au départ, je me suis dit que ce n’était vraiment pas gai et puis finalement ça c’est fait et je suis très contente.

Quel est votre rapport à l’image?

Ça ne m’intéresse pas, je m’en fous. Maintenant voir les gens les larmes aux yeux au salut quand on a finit de travailler, j’adore. Non, c’est vrai que je l’ai cherché, personne ne m’a obligé à monter sur scène; il y a plein de moments où je me dis que j’aurai pu faire autre chose comme restaurer des tableaux, être antiquaire, peintre. Femme au foyer ça me va bien aussi, je pourrais très bien rester à m’occuper de chez moi. Et puis, je ne veux pas trop savoir quelle image j’ai, en fait, certainement cela me fait un peu peur, ça m’empêcherait de faire des choses.

Vous a -t’on déjà interviewé sans évoquer votre mère?

Si vraiment je n’avais pas voulu qu’on m’en parle, il ne fallait pas que je fasse ce métier! Personne ne m’a forcé, c’est moi qui ai voulu y aller, et puis c’est bien normal que l’on me parle d’elle. De toutes les façons, vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez, je verrai bien ce que je vous répond! Je ne laisserai pas d’affect passer.

Vous avez fait l’Actor’s Studio à Los Angeles, quels souvenirs en gardez vous?

La théorie sur le théâtre ça n’existe pas. En tout cas, je suis bien meilleure maintenant que lorsque j’ai commencé! Ça m’a appris à utiliser « qui on est » pour jouer quelqu’un d’autre, mais tout ça, en fait  c’est très mystérieux. Il faut avant tout bien se connaitre, savoir où aller chercher dans les moments où on allait pas bien, même si je suis persuadée qu’ il faut aller bien, pour bien jouer. Le truc d’aller très mal, ça peut marcher mais les moments de pur bonheur sont tout aussi inspirants que le caniveau.

Vous voyez le danger dans cela?

Dans cette pièce, c’est vrai que je pense à des choses pas gaies, forcément;  hier, par exemple pendant dix minutes j’aurai pu continuer à pleurer. Mais bon, tout va bien dans ma vie! Et puis je fais exprès de désacraliser-le seul truc, c’est qu’il faut être sincère. Il faut croire en ce que vous dites, c’est ça la méthode.

Et vous trouvez cela plus facile au théâtre qu’au cinéma?

Pour moi, c’est plus facile. La caméra me fait peur car je n’en ai pas l’habitude. Au théâtre, vu que je joue tous les soirs, je suis plus à l’aise. Et puis surtout, il y a l’adrénaline et le plaisir de jouer chaque soir une heure sans s’arrêter. D’autant que le public est à chaque fois différent; on ne joue jamais de la même façon, on fait à chaque représentation des micro-différences qui auront été pour nous énormes. Mon partenaire, Thomas Cousseau,  est totalement dans le jeu, alors c’est très agréable. Pour le cinéma, il faudrait que je trouve un metteur en scène très patient car  j’ai l’impression que le moindre mouvement de sourcil va dire quelque chose alors,  moi qui bouge beaucoup ! Je m’entraîne certains soirs à ne plus bouger. Quoiqu’il en soit, vous dépendez du désir des autres, ce n’est donc pas très facile…être là, à attendre et se dire que l’on ne vaut rien ; ce n’est que vous que vous vendez, votre savoir faire, c’est vous.

Quelle est votre relation avec cette idée de destinée chère à Stefan Zweig?

Pour moi, il n’y a rien après la vie, mais c’est joli de se laisser tenter. J’aime bien y croire, c’est plus sympa. Du coup, on essaye de ne pas trop banaliser les choses comme par exemple, monter sur scène. Il n’y a rien de plus important pendant une heure. En plus, mon personnage donne à tout une saveur exceptionnelle puisque c’est la dernière fois. C’est pour cela que j’en profite, un texte comme cela, je n’en aurai pas tous les jours! En début de semaine, il y a un peu moins de monde, mais ce n’est pas grave. C’est moins excitant mais il faut jouer, les gens ont payé. Du coup, comme on a moins peur, on essaye plus de trucs. Mais ça ne rend pas la chose moins importante. On se délecte par ailleurs avec Thomas du silence qui est très perceptible et de l’attente. Quand j’ai commencé à voir ça, j’avais encore plus de plaisir à prendre des temps. Une, deux, trois secondes de silence au théâtre, ça parait très long. On a alors vraiment l’impression que le public est là, que l’on pourrait rester encore plus longtemps dans le silence et ça c’est génial. On vous tient dans la main. Maintenant, même si j’ai vu beaucoup d’hommes qui pleurent dans la salle, il y a aussi ceux qui ont été trainés là par leur femme. Ou les gens qui veulent prendre un bonbon là tout de suite.

Elle regarde tout d’un coup son portable. « Ouh la la mais il faut que j’y aille!  » me dit-elle gaiement. La toque est oubliée. Elle revient. Puis disparait.
Sarah est partie en scène, rire et pleurer une heure durant. Et sans doute vivre un peu plus intensément, avec l’idée que brûler les planches peut se faire sans que le prix en soit exorbitant.

 

 

Par Laetitia Monsacré

 

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