22 octobre 2018
Saisissante Giselle version contemporaine à l’Opéra des Flandres

Quand on voit Giselle à l’affiche de l’Opéra des Flandres, dans une nouvelle chorégraphie d’Akram Khan, créée à Manchester en 2016 par l’English National Ballet, on sait d’évidence que ce n’est pas le ballet avec tutus et pointes qui nous attend. De fait, la fantaisie romantique est transposée à l’heure contemporaine et des migrants. L’argument prend ainsi un tour politique et économique. Giselle appartient à un groupe de travailleurs émigrés exploités dans quelque industrie textile, qui seront brutalement privés de leur subsistance et rejetés dans leur situation irrégulière. L’histoire d’amour entre Albrecht, privilégié de l’autre côté de l’infranchissable frontière, tournera à l’impossible, aiguillonné par la jalousie d’Hilarion, intermédiaire entre les deux mondes, jouant de l’ambiguïté de sa position. Côté musique, il faudra aussi faire le deuil des mélodies d’Adam. Vincenzo Lamagna a gardé à peine quelques traces de la partition du compositeur français dans la seconde partie du spectacle, et élaboré une bande sonore qui n’enrobe pas la violence de l’histoire. Ici, cette dernière interpelle aussi les oreilles, jusqu’à une saturation que la performance avec orchestre modulera sans doute davantage.

L’amour face à la violence du monde

Avec Tim Yip, le chorégraphe anglais articule la scénographie toute en camaïeux anthracite autour d’un mur réversible où l’on devine quelques prises pour une escalade en fin compte vaine : le désir de Giselle de s’affranchir de sa condition se heurte au principe de réalité, implacable sous les lumières cliniques de Mark Henderson. Dans cette univers visuel de déshumanisation industrielle, les corps sont ballottés, parfois sans ménagement, dans des ensembles vigoureux où la technique classique et le vocabulaire contemporain se mêlent à des gestes de kathak indien. Les protagonistes tentent de surnager au milieu de l’énergie anonyme de la masse : la fin de la première partie, où les amants se cherchent au travers d’une barrière humaine mobile est saisissante. Après l’entracte, on trouve plus de séquences intimistes, où se distinguent, en ce dimanche d’octobre Nancy Osbaldeston, fragile mais non évanescente dans le rôle-titre, aux côtés de l’Albrecht fébrile de Claudio Cangialosi. Daniel Domenech campe un Hilarion fascinant de jalousie et de duplicité, quand Nini de Vet s’empare de l’autorité de Myrtha. Pour être un peu bousculé dans sa confiance avec le répertoire, le spectateur ne ressort pas indemne de cette Giselle où Akram Khan réussit une synthèse puissante et originale entre la tradition occidentale et ses racines bengali. On parie que cela deviendra rapidement un classique : l’Opéra des Flandres sait à cet endroit prendre une longueur d’avance.

Par Gilles Charlassier

Giselle, Akram Khan, Opéra des Flandres, Gand et Anvers, octobre et novembre 2018

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