5 août 2014
Saint-Céré, un festival d’opéra à l’égal des grands

repetiition genrale de lucia di lamermoor
Hors du circuit des grandes machines lyriques, à Paris comme en province, le festival de Saint-Céré promeut depuis plus de trente ans une autre manière de faire de l’opéra, plus « artisanale ». Quand Olivier Desbordes, son directeur artistique, est arrivé dans cette petite ville du Lot au tournant des années quatre-vingt, la musique était certes déjà présente au Château de Castelnau, surplombant la Dordogne, avec une série de concerts estivaux. Mais avec ce qui est devenu par la suite la Compagnie Opéra Eclaté, il en a fait un lieu de création original, où théâtre et opéra entretiennent une solidarité alors inédite dans le paysage culturel français – nul hasard d’ailleurs à ce que le festival de théâtre de Figeac rejoigne depuis cette année celui d’opéra de Saint-Céré dans une structure commune. Et au fil des années, cette conception exigeante mais loin de tout élitisme a non seulement trouvé son public dans le territoire rural où elle s’est implantée, mais aussi par les nombreuses tournées qu’elle fait sur l’ensemble de l’Hexagone.

Une version littérale intelligente

La nouvelle production de Lucia di Lammermoor de Donizetti que propose Olivier Desbordes en offre un exemple salutaire. A rebours de lectures iconoclastes qui sacrifient la lisibilité de l’intrigue à une modernité d’imposture, le metteur en scène français esquisse, avec une belle économie de moyens, l’étau moral, bourgeois et religieux qui se resserre autour de l’héroïne et son amant, Edgardo, avec la folie ou la mort pour seules échappatoires. La charrette sur laquelle arrive Lucia pour ses noces pourrait tout aussi bien la conduire à l’échafaud – le mariage forcé avec Arturo revient sans doute au même pour elle. De ce monde figé dans ses principes et ses compromissions – celles d’Enrico, le frère de Lucia sont soulignées avec une acuité aussi inhabituelle qu’admirable – la direction d’acteurs ne détache que le couple interdit, les seuls qui tentent de s’affranchir de ce carcan social. Si la cour du château de Castelnau offre un cadre magique, le repli à la Halle des sports de Saint-Céré pour cause d’orages – et les prévisions n’ont pas été vaines – ne dénature point un spectacle qui s’adapte sans difficultés à ces contraintes différentes – les caprices de l’été dans le Quercy obligent à de telles précautions.

Opéra et théâtre voix dans la voix

Côté voix, on retrouve le souci de ne pas séparer théâtre et musique. Cela s’entend dans l’Edgardo fébrile de Svetislav Stojanovic : plutôt qu’un timbre favorable, celui-ci privilégie une incarnation réaliste, au risque de l’excès. Pour autant, en confiant le rôle-titre à Burcu Uyar avec qui il avait déjà réalisé une Lucia il y a quelques années, Olivier Desbordes se soumet aux incontournables exigences belcantistes, quoique la soprano franco-turque ne se limite pas aux prouesses vocales et livre une interprétation fiévreuse de ce personnage fragile et malmené. Gabriele Nani affirme un Enrico d’une remarquable présence, tandis qu’Eric Vignau n’épargne pas l’allure libidineuse de son Arturo. Hermine Huguenel en Alisa, Christophe Lacassagne et Laurent Galabru, respectivement Raimondo et Normanno, ne déparent pas le tableau, et Gaspard Brécourt, à la tête du Chœur et de l’Orchestre Opéra Eclaté, impulse à l’ensemble une belle dynamique que n’altère guère une légère réduction des effectifs aux dimensions de la scène. Si vous voulez apprécier le travail d’Opéra Eclaté, ne manquez pas alors les tournées, dont certaines passent par Massy…
Gilles Charlassier
Festival de Saint-Céré, du 2 au 16 août 2014 – Lucia di Lammermoor, du 5 au 14 août 2014

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