4 juin 2017
Rome à l’heure de l’expressionnisme allemand

Si l’on associe généralement Rome à la tradition lyrique italienne, le Teatro dell’Opera n’en oublie pas pour autant le reste du répertoire, et la programmation de Carlo Fuortes en témoigne depuis sa prise de fonction en 2014 : la première saison a été ouverte avec Russalka de Dvorak, tandis que la seconde a permis de réentendre les Bassarides de Henze en décembre 2015. Les mélomanes romains découvrent en cette fin de printemps la Lulu de Berg mise en scène par William Kentridge.
On connaît la virtuosité des animations visuelles de l’artiste australien, à partir de papier et d’encre. La présente coproduction avec Amsterdam, l’English National Opera et le Met à New York en livre une preuve évidente. Resserrée dans des tons presque noirs et blancs, à l’esthétique de collage rappelant à la fois l’affiche et la presse, la palette s’ingénie à des surimpressions graphiques inspirées de l’intrigue et d’interprétations à tendance psychanalytiques : la technique freudienne, contemporaine du compositeur comme de l’ouvrage, affleure en effet dans l’intrigue, même si l’accumulation devient parfois une illustration redondante, presque indigeste face à la complexité de la musique. On n’en admirera pas moins la maîtrise, grâce aux projections réglées par Catherine Meyburgh et les lumières d’Urs Schönebaum.

De Berg à Widmann

Certes, le dodécaphonisme ne coule probablement pas de manière naturelle dans les veines de l’orchestre de l’institution italienne. Pour autant, Alejo Pérez sait tirer parti des ressources de sa fosse pour mettre en avant la puissance expressive de la partition. Si, au diapason de la mise en scène, sa direction ne cherche pas nécessairement à éclairer la richesse formelle de l’oeuvre, le public, même novice, pourra se laisser emporter par la force dramatique et l’exacerbation morbide des sentiments – ce qui, en partie caractérise l’expressionnisme germanique, et viennois en particulier. Au sein de la vaste galerie de personnages, on retiendra la Lulu de Disella Larusdottir, le désespoir de la comtesse Geschwitz de Jennifer Larmore, tandis que côté messieurs, Thomas Piffka incarne un Alwa de belle prestance, aux côtés du Schigolch de Williard White, magnétique malgré la marque des années.
Deux jours après la dernière de Lulu, on retrouve l’Orchestre du Teatro dell’Opera, sous la baguette d’un chef référencé dans le milieu de la musique dite contemporaine, Peter Rundel. C’est pourtant dans un programme éclectique qu’on l’entend à Costanzi. Si l’on passera sur les six danses KV 606 de Mozart en ouverture, les Dubairische Tanze de Jörg Widmann, clarinettiste hors pair également compositeur, distillent une belle poésie, et mettent en avant un talent qui éclate ensuite dans le Concerto pour clarinette de Mozart. La Deuxième Suite de Daphnis et Chloé de Ravel referme la soirée sur de brillantes couleurs, qu’il est salutaire de faire travailler à la phalange romaine.

Par Gilles Charlassier

Lulu, Teatro dell’Opera, Rome, mai 2017, et concert de l’Orchestre du Teatro dell’Opera, 1er juin 2017

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