7 février 2012
Le ventre disparu de Paris

 

« La musique des Halles, c’est le fracas de tous les diables dans l’opéra de tous les jours.»  Jacques Prévert

Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’évite de passer par les Halles. Le lieu ne m’attire pas, bondé de monde, des flics qui contrôlent des jeunes de banlieues, un centre commercial sans aucun charme. Pourtant jusqu’à la fin des années 60, les Halles étaient le cœur vivant de Paris avec son marché couvert, ses étalages de fleurs, de légumes, les bistros où tout le monde se retrouvait. Une vie se déroulait à l’intérieur et autour des Halles. Les jeunes y trouvaient du travail à transporter des cageots de fruits et légumes, le chasseur du coin ramenait son gibier pris la veille ou au matin, les fêtards y venaient manger un morceau. Robert Doisneau était un amoureux de ce quartier, c’est d’ailleurs là qu’il fit sa toute première photo, en 1933. Une histoire d’amour entre un photographe comme le confirme son ami Pierre Delbos, «il y avait une ambiance fabuleuse, et lui, il avait du flair, vous auriez vu sa façon de les regarder, il les aimait!» et un lieu de vie que retrace cette exposition-au total 200 photos dont fait rare, quelques unes en couleur, le tout présenté à l’Hôtel de Ville à partir du 8 Février. Un plongeon dans la vie des années 50 et 60, et de quoi donner envie d’aller acheter des fleurs  fraichement cueillies, de prendre des légumes de marché et  de discuter autour d’un bon verre de vin rouge avec le boucher qui vous offre quelques morceaux de viandes non vendus. Un Paris de jadis sous l’objectif d’un des plus grands photographes du siècle-on fêtera en avril le centenaire de sa naissance-et l’occasion de faire découvrir  les Halles de demain qui, si vous ne l’avez pas remarqué, sont en travaux depuis un an. Un projet ambitieux qui verra sa livraison en 2016 après moult controverses- on nous promet une clairière au milieu de la ville et une canopée «immense feuille translucide ondoyant à la hauteur de la cime des arbres».

Ce retour dans le passé permet en tous cas de comprendre ce lieu, autrefois le « ventre » de Paris, si bien décrit par Emile Zola. Le premier marché, les Champeaux, fut construit en 1135. Puis c’est en 1543 que François 1er décida de construire ce qu’on appelle encore aujourd’hui Les Halles et dont l’activité -plus de 5000 personnes y travaillaient- fut transférée à Rungis en 1969. Autre photographe du courant humaniste et de la même génération que Doisneau, Sabine Weiss était présente au vernissage à l’Hôtel de Ville, regardant avec nostalgie les photos de ce dernier, se souvenant sans doute que pour  beaucoup, la fermeture du marché des Halles a été vue comme « un assassinat » , ainsi que pour de nombreux intellectuels. « Il y a eu une mobilisation énorme pour sauver le marché des Halles » explique d’ailleurs Annette Doisneau, la fille du photographe. En vain. « Le lieu préféré de Doisneau » qu’il venait photographier une fois par semaine, se levant à 3 heures du matin, avec ses « forts  » des Halles, capable de soulever 200 kilos sur leur dos a bien disparu dans le béton de Rungis. «Je savais que cela allait disparaitre, je voulais absolument en fixer le souvenir». Voilà qui est réussi et à ne pas manquer…

Par Sylvain Gosset

 

Doisneau, Paris Les Halles, jusqu’au 28 avril, exposition gratuite à la Mairie de Paris, de 10h à 19 h, sauf le dimanche et jours fériés.

A découvrir aussi des photos de Doisneau sur les murs de la station de métro Hôtel de Ville.

 

 

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