26 janvier 2021

Les aléas de la crise sanitaire n’épargnent personne. Ainsi, par exemple, les célébrations du cinquième anniversaire de l’Elbphilharmonie de Hambourg ont-elles connu quelques adaptations : la création de l’oratorio A.R.C.H.E de Jörg Widmann par l’Orchestre national phiharmonique de Hambourg, sous la direction de Kent Nagana, a dû être reportée, et remplacée par trois pièces du compositeur et clarinettiste allemand – Fanfare ; Armonica ; et Drei Schattentänze, solo instrumental interprété par l’auteur lui-même, dans une alchimie entre virtuosité et palette évocatrice – ainsi que la Huitième Symphonie de Beethoven. Au Palau de les arts à Valence, édifice imaginé par Calatrava, inauguré en 2005, et qui héberge la compagnie d’opéra de la cité espagnole, la première des Contes d’Hoffmann d’Offenbach a dû être annulée, faisant de la représentation du dimanche 23 janvier la soirée inaugurale de cette production importée de Dresde, placée sous la direction de Marc Minkowski.

Dans la scénographie modulaire de teintes anthracite dessinée par Heike Scheele, le travail de Johannes Erath s’appuie sur les vidéos conçues par Alexander Scherpink pour accompagner la narration des amours d’Hoffmann. Une indéniable maîtrise dans les effets d’illusions et de perspectives s’affirme, sous les variations de lumières assez monochromes calibrées par Fabio Antoci, sans renoncer à une caractérisation des trois actes, au diapason de la tonalité dominante de chacun. Les ensembles sont réglés avec efficacité, dans la confrontation avec le poète malheureux. Le spectacle ne manque pas de trouvailles, à l’exemple du panneau de tain réfléchissant la salle dans l’acte de Giuletta, dans un dispositif éprouvé dans d’autres productions – telle celle de Carsen à Bastille – sans se réduire à l’imitation. Le générique à la fin de ce même acte induit en revanche malencontreusement le public en erreur, et fait, malgré soi, de l’épilogue un appendice pourtant traité avec une habileté déjà vue ailleurs, dans l’ultime intensification lumineuse réconciliatrice.

John Osborn, incarnation majeure d’Hoffmann

Mais l’intérêt essentiel de ces Contes d’Hoffmann réside dans la musique, et tout d’abord dans le choix de l’édition réalisée par Jean-Christophe Keck et Michael Kaye, revenant aux sources et desiderata premiers du compositeur, que Marc Minkowki avait donné en concert salle Pleyel à Paris en 2012, avant de la diriger, pour la première fois, dans un spectacle scénique à Bordeaux en 2019. Offenbach étant mort avant la création, il n’a pu décider d’une mouture définitive après les répétitions, moment où il avait l’habitude de procéder à des ajustements, en particulier pour tenir compte de la censure. Si les différences dans le Prologue et les deux actes d’Olympia et Antonia restent assez mineurs – on notera que les finales regardent sans doute un peu plus vers le genre du grand opéra –, la partition de l’acte de Giuletta est en grande partie inédite, d’une construction nettement plus subtile, avec des échos du drame d’Antonia, et des motifs en filigrane, tel celui de la Barcarolle, plutôt qu’isolés en numéros séparés selon la tradition. Le chef français défend la cohérence dramatique de ces Contes avec une conviction communicative : les pupitres de l’Orchestre de la communauté valencienne font redécouvrir les couleurs et les dynamiques originales d’une œuvre que l’on croyait bien connaître.

Et on peut compter sur le plateau vocal pour se faire le relais de cette vitalité orchestrale. Dans le rôle-titre, John Osborn se confirme comme l’un des meilleurs Hoffmann d’aujourd’hui. La vaillance du ténor, parfois soulignée par la tonicité de l’intonation et des aigus, n’oublie jamais la richesse expressive et compose une incarnation puissante et nuancée dans les camaïeux de la déception. Assumant, selon la lettre du livret, les trois rôles féminins comme autant de facette d’ « une seule et même Stella », Pretty Yende se révèle plus à l’aise dans les coloratures d’Olympia et le lyrisme d’Antonia, qu’elle habite avec une belle sincérité, que dans la séduction charnelle de la courtisane Giuletta, manquant de cette touche vénéneuse qui fait le sel d’un personnage à la tessiture au demeurant vraisemblablement un peu grave pour la soprano sud-africaine. Avec une diction irréprochable, Paula Murrihy se distingue en Muse et Niklausse d’une sensibilité accomplie.

Le reste de la distribution ne démérite aucunement. Le robuste Alex Esposito force peut-être un peu la noirceur de l’émission dans le machiavélisme de Lindorf, Coppélius, Docteur Miracle et Dapertutto, mais n’en reste pas moins absolument convaincant. Marcel Beekmann se glisse avec gourmandise dans les divers déguisements et gaucheries d’Andrès, Cochenille, Frantz et Pitichinaccio. Tomislav Lavoie fait entendre l’autorité vulnérable du père Crespel, ainsi que les interventions de Luther. Isaac Galán endosse les tourments de Schlémil, quand Moisés Marín s’avère un honnête Spalanzani. On saluera également le Nathanaël de Roger Padullés, ainsi que les répliques d’Hermann, debWilhelm et du capitaine des sbires dévolues à Tomeu Biblioni, sans oublier les choeurs, solides plus que ciselés, sous la houlette de Francesc Perales. Des Contes d’Hoffmann réjouissants pour commencer l’année à Valence !

Par Gilles Charlassier

Les contes d’Hoffmann, Offenbach, Teatro Les Arts, Valence, janvier 2021.

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