14 août 2013
Résurrection wagnérienne à Peralada

A une dizaine de kilomètres de Figueres, la ville de natale de Dali, le château de Peralada est, chaque été depuis 1987, le théâtre d’un festival d’opéra, de musique et de danse. Au cœur d’un vaste domaine privé doté d’auditorium de plein air, d’un casino et d’un restaurant gastronomique, les mélomanes de toute l’Europe se mêlent à la bonne société catalane pour entendre grandes voix et solistes internationaux dans ce qui est un peu l’équivalent espagnol d’Aix-en-Provence. Longtemps associé à la diva Montserrat Caballé, le festival est sorti de la relative torpeur à laquelle il avait succombé avec l’arrivée à la direction artistique, il y a trois ans, d’Oriol Aguilà, mêlant les étoiles montantes aux gloires établies.

Carnaval palermitain sur tessons de liège

En cette année de bicentenaire, il était impossible de faire l’impasse sur Wagner : plutôt que mimer la Colline Verte, c’est un ouvrage de jeunesse proscrit de Bayreuth que Peralada a choisi de programmer,  Das Liebersverbot (La Défense d’Aimer). Inspirée de Mesure pour mesure de Shakespeare, cette comédie légère nous plonge dans un Palerme folklorique : c’est période de carnaval, mais les festivités comme la liberté d’aimer (souvenons-nous que le droit au mariage libre a été concédé par l’empereur d’Autriche Joseph II peu avant la Révolution Française) sont proscrites. Au fil des intrigues qui se succèdent, on finit par découvrir que le gouverneur Friedrich ne se soumet pas à l’implacable loi qu’il impose aux autres et l’opéra finit dans la liesse générale. Si les influences de Weber, du bel canto italien et de l’école française sont reconnaissables dans cette partition éclectiques, elle n’en dégage pas moins une fraîcheur et une vitalité qui ne peuvent que faire regretter l’oubli dans laquelle elle est tombée rapidement après avoir été créée en  1836 – elle n’a jamais été redonnée du vivant de Wagner, et reste aujourd’hui son œuvre la moins jouée. Bien que « dépassée » par les opus ultérieurs, elle constitue un maillon instructif dans l’évolution du compositeur – pensons entre autres aux nombreuses préfigurations de Tannhäuser.

Comme c’est souvent le cas avec ce genre d’ouvrages, il est d’usage de procéder à des coupures pour mieux ramasser l’action – il n’était pas rare d’ajouter un air ou des ensembles pour répondre au caprice d’un interprète – et c’est ainsi que La Défense d’Aimer a été gravée à la suite des représentations au festival de Munich en 1983. Ici, la réduction de Frank Böhme se fait plus radicale, et c’est dans une version de poche que l’opéra est donné dans la nef de l’Iglesia del Carmen, dont le sol a été recouvert de morceaux de liège concassés : une dizaine de musiciens pour une durée d’à peine une heure et demie – alors qu’il existe près de cinq heures de musique. La plupart des dialogues parlés sont réduit au strict nécessaire  – en catalan, alors que les parties sont chantées en allemand, selon les exigences de l’original –, et plusieurs numéros vocaux sont amputés de leur reprise. On y gagne en efficacité dramatique  et les meilleures pages s’en trouvent mises en valeur, sans donner pour autant trop appauvrir les intentions de l’auteur.

Un souffle de jeunesse

Au sortir de ce spectacle sobrement mis en scène par Georgios Kapoglou – lequel s’autorise avec la révolte du peuple quelques clins d’œil à l’actualité – on ressort conquis par cette Défense d’Aimer, qui, ainsi redimensionnée, aurait toutes les chances de fouler avec succès les planches. Ce sort malheureux est d’autant plus injuste que les nombreux personnages de cette histoire parfois tarabiscotée constituent une aubaine pour une troupe de jeunes chanteurs. C’est d’ailleurs dans le vivier du Liceu de Barcelone que l’on a puisé. Julia Farrés-Llongueras incarne une Isabella rayonnante tandis que Rocio Martinez (Dorella) et Mercedes Gancedo (Mariana) séduisent par leur tempérament théâtral. Riche en ténors aux caractères bien distincts, l’opéra permet de distinguer le Luzio de David Alegret et le Claudio de Vincenç Esteve Madrid. Musicien accompli, Alex  Sanmarti souligne parfois inutilement la brutalité du gouverneur Friedrich. A la tête de l’Ensemble Orchestral de Cadaqués, Fausto Nardi ménage un bel accompagnement pour les voix, mais se révèle limité pour des ensembles qui auraient besoin d’une sonorité plus nourrie. Ne boudons pas pour autant notre plaisir, et souhaitons que cette modeste production s’exporte largement. Avis aux directeurs d’opéra…

Par Gilles Charlassier

La Défense d’Aimer, Festival de Peralada

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