29 octobre 2019
Rentrée germanique épurée au Théâtre des Champs Elysées

 

Si le Freischütz de Weber fait partie du répertoire courant des opéras allemands, de ce côté-ci du Rhin, il demeure discret à l’affiche. On ne peut, à cet égard, que saluer l’initiative du Théâtre des Champs Elysées de présenter la production que Laurence Equilbeye et son Insula orchestra avait donnée à Caen au printemps dernier. A rebours du folklore du livret, adaptant un conte populaire, la Compagnie 14:20 a choisi une lecture épurée, qui s’articule autour d’effets de magie conçus par Clément Debailleul et Raphaël Navarro. Ainsi que l’explicite une note d’intention dans le programme, le noir constitue le matériau de base du travail du collectif, et le point de départ pour des effets d’illusionnisme. Si les lumières réglées par Elsa Revol distillent une pénombre – apparemment à la mode de nos jours – qui limite parfois le confort et la lisibilité du plateau, le dispositif visuel réserve de belles trouvailles, à l’exemple des superpositions de traces spectrales au début du célèbre tableau des Gorges-du-Loup, quand la fusion des balles verse dans une profusion graphique efficace sans doute, quoiqu’un rien brouillonne. Au-delà de la virtuosité du résultat visuel – aux prolongements poétiques moins évidents cependant que dans l’Orphée et Eurydice d’Aurélien Bory présenté à l’Opéra Comique l’an dernier, et repris cet automne à Liège –  et qui abuse parfois de l’illustration par écrans interposés, la vertu principale de la mise en scène réside dans une économie qui contourne habilement les lourdeurs pittoresques de l’intrigue, pour n’en retenir que les atemporelles ressources spectaculaires.

 

Stanislas de Barbeyrac, un Freichütz né

 

Mais c’est d’abord le plateau vocal qui fait toute la valeur de ce Freischütz, et en premier lieu le Max valeureux de Stanislas de Barbeyrac. Avec la maturation de sa voix, le ténor français démontre une admirable adéquation avec le rôle, mâtinant l’éclat héroïque d’une tendre élégance héritée de Mozart et de discrètes fragilités qui restituent une émouvante crédibilité psychologique. En Agathe, Johanni van Oostrum séduit par un lyrisme fruité et plein de sentiment, quand Chiara Skerath tire la soubrette Ännchen vers l’homogénéité du médium plus que vers la légèreté du babil. Sans se mesurer aux légendes, Vladimir Baykov résume de manière convaincante la noirceur tourmentée de Kaspar, sans surligner le trait. Le Kuno de Thorsten Grümbel et le prince Ottokar campé par Daniel Schumtzhard résument l’autorité paternelle qui leur incombe, quand Anas Séguin s’acquitte avec gourmandise de l’intervention de Kilian. Depuis les coulisses, Christian Immler fait retentir la bienveillance de l’ermite et l’effrayante présence de Samiel. Préparés par Frank Markowitsch, les choeurs d’accentus se montrent à la hauteur de leur réputation de précision et de clarté, tandis que la direction nerveuse de Laurence Equilbey se révèle meilleure dans les apaisements lyriques que dans  des vrombissements évocateurs passablement appuyés ou des attaques fébriles, altérant la finesse de la ligne mélodique idiomatique de Weber, par-delà la force picturale, elle bien comprise par les pupitres d’Insula orchestra. Le noir reste la tonalité dominante de ce Freischütz.

 

GC

 

Le Freischütz, Weber, Théâtre des Champs Elysées, octobre 2019

 

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