11 octobre 2013
Rentrée contemporaine


Créé avec succès en juillet 2012 au festival d’Aix-en-Provence dans une production due à Katie Mitchell qui a tourné France et en Europe et qui passe en novembre à l’Opéra Comique, Written on skin de George Benjamin connaît à peine un an après une nouvelle mise en scène, présentée à Bonn pendant le Beethovenfest. Dans un répertoire contemporain où la plupart des créations restent sans lendemain, la chose est résolument exceptionnelle. L’écriture raffinée du compositeur et chef d’orchestre anglais n’y est pas étrangère, colorant sa partition avec des instruments anciens comme la viole de gambe. Le procédé n’a d’ailleurs rien de gratuit puisque le livret de Martin Crimp, inspiré par la légende provençale siècle du « cœur mangé » datant du treizième siècle, insère l’histoire moyenâgeuse au cœur de notre vingt-et-unième siècle – l’incipit fait référence à une arrivée des anges à l’aéroport et des perturbations de trafic aérien.

Débauche de cruauté et de sang

Autant Katie Mitchell s’inscrivait dans une esthétisation rigoureuse, calibrée au millimètre, autant l’approche d’Alexandra  Szemerédy et Magdolna Parditka ne nous épargne pas l’hémoglobine et la cruauté du protecteur trompé par sa femme – avec l’enlumineur. C’est plus cru, moins  léché, et peut-être aussi moins lisible dans certaines scènes – en particulier celle où le mari se délecte de son épouse cannibale malgré elle. La direction d’Hendrik Vestmann, saluée par le compositeur présent à cette première, rend justice aux textures charnues de l’orchestration et à des accents qui n’auraient pas été reniés par le jazz – preuve que la géniale synthèse de George Benjamin peut s’entendre de diverses manières, à l’instar d’un prisme que l’on peut aborder selon des angles différents. Miriam Clark prend avec panache le relais de Barbara Hannigan, tandis qu’Evez Abdulla recueille un succès mérité en protecteur d’un incontestable aplomb. Terry Wey oriente quand à lui le rôle du jeune enlumineur vers le ténor léger, candide mais non désincarné.

Beethoven, le piano en intégrale

Format à la mode, l’intégrale des sonates de Beethoven avait évidemment toute sa place dans ce festival consacré au musicien natif de la capitale de l’ancienne RFA. Cette année, c’est Andras Schiff qui livre sa vision du corpus pianistique de Beethoven, dont nous avons entendu le dernier concert, réunissant, selon l’usage, les trois derniers opus – sans entracte, et enchaînant les pièces si le public ne s’était senti obligé d’applaudir entre les sonates. La main gauche surprend par sa manière de soutenir le rythme d’une manière presque détachée. Si la carrure de l’ensemble ne fait pas de doute, jamais le soliste n’exagère la vigueur de ces pages. Il y a dans ce jeu une élégance naturelle, jamais narcissique, et l’on sent jusque dans les bis – dont une variation Diabelli – une indifférence au cabotinage dont le public saurait pourtant se montrer friand.

La Conquête du Mexique à Madrid

Quelques jours plus tard, le Teatro Real à Madrid donnait la première espagnole d’un opéra de Wolgang Rihm, La Conquête du Mexique, composé en 1992 sur des textes d’Antonin Artaud et Octavio Paz. L’ouvrage, relatant la face sombre de la découverte des Amériques par les conquistadors, et mêle, à travers les figures de Montezuma, le chef aztèque, et Cortez, l’espagnol, violence guerrière et poésie métaphysique. Intitulée « musique théâtrale », l’œuvre prend des libertés avec les codes traditionnels de l’opéra, et laisse une place au moins aussi importante à la voix qu’aux percussions spatialisées, lesquelles ouvrent la soirée sur une sorte de danse rituelle envoûtante – preuve que la musique contemporaine n’est pas nécessairement intellectuelle. La mise en scène de Pierre Audi impressionne par sa débauche d’or et ses puissants jeux de lumière : les ressources matérielles du Nouveau Monde et le sang coulent avec une égale générosité. Magistrale dans le cri de souffrance et de douleur, Nadja Michael confère au personnage de Montezuma une humanité brûlante, au-delà des limites de la musique, tandis que Georg Nigl campe un Cortez imposant. Un spectacle généreux en moyens comme en effets, dirigé avec efficacité par Alejo Pérez, qu’appuie la vigueur des chœurs préparés par Andres Maspero.

GL
Written on skin, Bonn, octobre 2013 ; Opéra Comique, du 16 au 19 novembre 2013
Beethovenfest, Bonn, septembre-octobre 2013
La Conquista de Mexico, Madrid, octobre 2013

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