26 février 2018

 

Avec son aréopage de journalistes venus pour la première, la redécouverte du Domino noir d’Auber à l’Opéra de Liège, quelques semaines avant Paris, à la salle Favart, fait figure de moments fort de la saison musicale européenne. Et pourtant, boudé pendant un siècle, l’ouvrage faisait partie du cœur du répertoire des théâtres lyriques à l’époque romantique. C’est la pièce la plus jouée du compositeur français : on compte plus de mille deux cents représentations avant la Première Guerre Mondiale, même si Liège ne l’avait plus monté depuis 1838, un an seulement après sa création. L’évolution du goût peut bien paraître inévitable, on ne peut que se comprendre le succès de la pièce, revisitée avec un pétillant jubilatoire par Valérie Lesort et Christian Hecq, sociétaires de la Comédie Française, équilibrant parlé et musique avec une irrésistible précision d’horloge.
Le décor de Laurent Peduzzi sert avec habileté le propos d’une mise en scène qui maîtrise les codes du théâtre classique. Le premier acte se déroule dans une antichambre au milieu de laquelle trône un immense cadran transparent qui laisse entrevoir la dissipation mondaine. Le jeu de portes entre les deux espaces est tressé avec un ingénieux jeu sonore et musical : les rumeurs de la fête reprennent les thèmes de l’ouverture et des airs avec une adjonction techno aussi amusante que bien faite. Les péripéties dans la demeure de Juliano ne pâliraient pas dans le meilleur Pelly, quand le dernier acte, au couvent, se servent des gargouilles pour moquer la rigueur morale des lieux. Poésie et invention humoristique se retrouvent dans les costumes de Vanessa Sannino, à l’exemple des piquants de hérisson sur la veste d’un Lord Elfort toujours en mode d’attaque. Les lumières réglées par Christian Pinaud polissent une fantaisie scénographique rehaussée par les agiles chorégraphies de Glyslein Lefever.

Un parfait équilibre

Mais l’alchimie de la soirée tient au moins autant à l’excellence d’un plateau qui rend justice au style comme à l’intelligibilité de la diction. Anne-Catherine Gillet démontre un évident instinct dans l’avatar du Domino noir, Angèle de Olivarès, faisant frémir une sensibilité lyrique sous le voile d’une fausse réserve exquisement ciselée, à laquelle répond la Brigitte de San Lucar incarnée par Antoinette Dennefeld, affirmant maîtrise, homogénéité et gourmande complicité. Un même naturel empreint le Horace de Massarena de Cyrille Dubois, en pleine possession de ses moyens et doué d’un sens consommé de la justesse expressive, jusque dans les excès des affects, portés par une ligne aussi légère qu’élégante.
On applaudira également le reste de la distribution. François Rougier régale en Comte Juliano, impeccable dans le théâtre. Grimée en Jacinthe rondouillarde, Marie Lenormand forme avec le Gil Perez de Laurent Kubla une paire d’amants impayables et décalés. Sylvie Bergé, comédienne du Français, résume l’autoritarisme d’Ursule, aux côtés de la tourière dévolue à Tatiana Mamonov. Laurent Montel caricature à l’envi les déformations britanniques de Lord Elfort, quand Benoît Delvaux assure les interventions de Melchior. On saluera le travail de Pierre Iodice avec les choeurs, dont les parties sont exigeantes, tandis que dans la fosse Patrick Davin insuffle, en parfaite intelligence avec la scène, une éloquente vitalité orchestrale qui est l’autre cheville d’une belle redécouverte.

Par Gilles Charlassier

Le domino noir, Opéra de Liège, février-mars 2018 et à l’Opéra Comique en mars 2018

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