22 mars 2016
Prague à l’heure du conte

reine des neiges

Irriguée par la Vlatva, Prague n’a pas attendu le nationalisme tchèque pour voir couler la musique dans ses veines – non content d’y avoir créé, ou repris, plusieurs de ses opéras, Mozart lui dédia même une symphonie. Si la Maison municipale, temple de l’Art Nouveau, ou le Rudolfinum, sont les repaires du répertoire instrumental ou symphonique, la capitale de la République Tchèque ne compte pas moins de trois opéras nationaux, associés en une structure commune. Si, sur les bords du fleuve, le Théâtre national avec son imposante architecture très fin dix-neuvième siècle, présente les grands ouvrages, tandis que le Théâtre des Etats, édifié à l’époque de Wolfgang, se concentre avant tout sur Mozart, l’Opéra des Etats avec son intérieur néo-rococo, situé à deux pas de la gare centrale, alterne danse et soirées lyriques. C’est en ses murs que l’on a pu apprécier une nouvelle production de ballet réglée par Michael Corder, La Reine des neiges, importée de Londres où elle a été créée en 2007.

Sous le signe de Prokofiev

Le chorégraphe anglais a puisé dans le corpus des contes d’Andersen pour un argument aux allures initiatiques où se lit une évidente empreinte romantique. Encouragée par la scénographie de Mark Bailey, l’innocence campagnarde initiale pourra faire songer à Giselle, quand le repaire glaçant et maléfique de la reine des neiges suscite un mélange entre la mémoire des Willis, la candeur en moins, et l’attraction vénéneuse d’une marâtre tirée de Blanche-Neige. Si le dessin ne néglige pas les couleurs et les formes d’un Walt Disney, la partie musicale fait une confiance exclusive à Prokofiev. Julian Philips a réalisé un arrangement à partir de quatre pièces du compositeur russe. L’essentiel provient du ballet La fleur de pierre, ainsi que de deux suites tirées de deux opéras, Les Fiançailles au couvent – sous le titre Nuit d’été – et Guerre et Paix, distillant un parfum discrètement nostalgique, quant le Scherzo extrait de la Cinquième Symphonie imprime sa rythmique implacable à l’emprise de la souveraine des glaces.

On sait le moindre engagement que peut susciter les soirées de ballet dans les fosses d’orchestre, et nonobstant quelques relatifs amollissements passagers, la phalange de la maison assume honnêtement son office, portant généralement avec efficacité les solistes du plateau, où se distinguent l’impitoyable reine campée par Nikola Marova, tandis que Matej Sust et Andrea Kramesova forme un émouvant couple – Kaj et Gerda –, au diapason d’une chorégraphie de facture classique et expressive. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le succès du spectacle a su facilement traversé la Manche, et Prague ne se prie pas pour s’en faire le relais auprès d’un public au carrefour de l’Europe Centrale en cette fin de semaine, autocars de groupes à l’appui.

Par Gilles Charlassier

La Reine des neiges, Opéra de Prague, printemps 2016

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