1 août 2016
Prades ouvre sous le signe de la jeunesse

 MittelEuropa2 © Hugues Argence

Vieux de 64 ans, le festival de Prades est depuis longtemps consacré comme une fenêtre incontournable sur la nouvelle génération. Non content de perpétuer l’académie, l’édition 2016 s’ouvre, de manière aussi brillante que symbolique, avec Edgar Moreau, déjà passé par la pépinière de talents pradéenne, et devenu depuis, à seulement 22 ans, l’une des figures de la relève du violoncelle français – l’héritage de Pablo Casals est entre de bonnes mains.

Après une allocution du directeur artistique, Michel Lethiec, se fait l’écho, dans l’abbaye Saint-Michel de Cuxa, où le musicien catalan avait trouvé refuge contre la répression franquiste, du choc causé par la barbarie islamiste quelques heures avant dans une église de la région rouennaise, la soirée inaugurale placée sous le signe de l’Europe Centrale passe d’abord par le Divertimento en ré majeur K136 de Mozart. Sous la baguette de Hartmut Hode, le NFM Leopoldinum Chamber Orchestra de Wroclaw démontre son métier au fil des trois mouvements de cette partition juvénile – Allegro, Andante et Presto.

Edgar Moreau, relève du violoncelle français

Le soliste du concert fait ensuite son entrée pour le très virtuose Concerto en do majeur de Haydn. Dès le Moderato initial, Edgar Moreau séduit par la plénitude sonore de son violoncelle – un David Tecchler de 1711. Généreux dans les couleurs, son jeu, dont on mesure la maturation ces dernières années, équilibre émotion et intelligence de la forme, n’oubliant jamais la complice émulation avec les tutti, tandis que la cadence confirme une intense musicalité. L’Adagio exhale une admirable et sereine intériorité, dans des soli où se reconnaît le génie du compositeur viennois, tandis que l’étourdissant finale, Allegro molto, exalte une inspiration familière du style galant et que n’aurait pas renié Carl Philipp Emanuel Bach. Débordant d’une énergie aussi instinctive que communicative, le jeune violoncelliste se joue des difficultés de ce dernier mouvement, et affirme une inventivité dans l’ornementation où se devinent les fruits de son récent enregistrement discographique dans le répertoire baroque avec l’ensemble Il Pomo d’Oro. Sans se reposer sur les lauriers mérités que le public lui réserve, Edgar Moreau gratifie l’auditoire d’une Sarabande tirée de la Troisième Suite de Bach toute en sensibilité.

Après l’entracte, la célèbre Sérénade de Tchaïkovski, pour laquelle même les balletomanes gardent, avec Balanchine, une affection particulière, constitue un viatique éminemment romantique pour rejoindre la nuit aux portes de la plaine du Conflent : puissance mélodique, charme des pizzicati, densité du sentiment s’égrènent au fil de quatre mouvements qui n’ont cessé de résonner dans le souvenir des mélomanes, et que les musiciens polonais restituent avec un savoir-faire éprouvé.

La musique, refuge de la liberté

Rendez-vous estival de la musique de chambre, Prades n’oublie pas le répertoire des cinquante dernières années, ni la création contemporaine, à l’exemple du Quintette pour clarinette et cordes de Jeajoon Ryu le 28 juillet, ou le 8 août, le Trio Napper pour piano, violon et violoncelle de Filippo Zapponi, couronné par le prix du concours de composition de Prades en 2015. Non content d’essaimer au-delà des frontières du soixante-sixième département métropolitain, ainsi que l’illustre le prélude à Saint-Guilhem-le-désert, aux portes de Montpellier, le festival occitan se recueille aussi sur les douloureuses traces de l’histoire, à l’instar du concert à l’aube au mémorial du camp de Rivesaltes où plus de vingt mille femmes, hommes et enfants ont été parqués entre 1941 et 1966 – juifs, tziganes, espagnols ou harkis : l’étendard de la beauté dans un monde miné par la violence flotte plus que jamais sur Prades, gardien de l’esprit de Pablo Casals.

Par Gilles Charlassier

Festival de Prades, ouverture le 26 juillet 2016. Jusqu’au 13 août 2016

Articles similaires