7 août 2017
Prades hors les murs

 

Prades hors les murs

Initié par Pablo Casals au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le festival de Prades, qui porte le nom du violoncelliste catalan, constitue un des premiers rendez-vous estivaux de la musique de chambre, et présente cette année sa soixante-cinquième édition. Si l’épicentre demeure l’abbaye Saint-Michel-de-Cuxa, le reste de la région, jusqu’aux confins de la Cerdagne et du Roussillon n’est pas oublié, tissant par là-même des liens avec plus d’une institution touristique.

C’est ainsi qu’en troisième et dernière étape, vespérale, de la traditionnelle journée dans le massif du Canigó, jalonnée cette année par les trois symphonies de jeunesse de Haydn, surnommées « Matin », « Midi » et « Soir », le public a rendez-vous au cœur de la grotte des Canalettes, entouré de stalactites et stalagmites répondant aux noms pittoresques de Sagrada Familia ou Tour Catalane, et baigné par une fraîcheur bienvenue en ces temps de canicule méridionale. Après l’Opus 8 de Haydn, où se distingue la contrebasse de Jurek Dybal, avec un solo rare dans le répertoire classique, Patrick Gallois fait émerger de la pénombre et du haut des gradins l’Incantation pour flûte seule de Jolivet, dont le dénuement mystérieux retient le souffle de l’auditoire. De Barber, le Summer Music pour quintette à vents opus 31 confirme la générosité d’inspiration, avant l’intense Prélude en si bémol majeur pour clarinette de Penderecki, que détaille Michel Lethiec avec une sensibilité aussi délicate qu’engagée. L’insatiable curiosité du directeur artistique pour les arrangements chambristes se confirme enfin dans les extraits du Don Giovanni transcrit pour quatuor par Johann Nepomuk Went – à l’époque de Mozart, qui ne connaissait pas nos moyens de diffusion sonore, les réductions constituaient la solution pour faire entrer les nouveautés dans les demeures bourgeoises. Sous l’archet des Arcis, un condensé de l’ouvrage, de l’Ouverture au finale du premier acte, jaillit pour le plaisir des mélomanes.

Des grottes à Dalí

Le lendemain, Prades prend la route de Céret, où le musée d’art moderne présente une exposition « Dalí et les sciences » – à quelques dizaines de kilomètres du « Centre du monde » qu’est la gare de Perpignan, et de Figueres, l’artiste espagnol est presque chez lui. Au fil de l’accrochage, Michel Lethiec a imaginé, avec le concours de la directrice du musée, une déambulation musicale faite d’improvisations, où la clarinette du directeur artistique se joue des extrémités de sa tessiture pour traduire en sons l’iconoclasme du surréaliste, avant d’imaginer avec son instrument un savoureux théâtre miniature.

L’intitulé de la soirée, « concert de Gala », dans l’église Saint-Pierre de Céret que le festival investit pour la première fois, s’amuse avec le nom de la femme de Dalí, et passe outre le peu d’intérêt que le peintre portait à la musique. Le programme s’ouvre les Märchenbilder opus 113 de Schumann, que livre la complicité entre l’alto de Bruno Pasquier et le piano de Silke Avenhaus. Hagai Shaham s’associe au même clavier dans les Cinq madrigaux stanzas pour piano et violon que Martinu avait dédié à Einstein, et où s’affirme un évident sens de la caractérisation résumé dans ces vignettes musicales. Le duo devient trio grâce au violoncelle d’Othmar Müller, et invite au cœur du laboratoire de Wagner, seul compositeur qui trouvait grâce aux yeux de Dalí. La transcription qu’Alfred Pringsheim réalisa de la Liebesnacht, la nuit d’amour, au deuxième acte de Tristan et Isolde, plonge dans l’intimité de la partition, et fond les trois lignes instrumentales comme les amants et l’orchestre dans l’original opératique. La concentration, sinon la ferveur, des solistes magnifie cette page d’un profond lyrisme. Après l’entracte, Yves Henry et Philippe Graffin font résonner la Suite populaire espagnole pour violon et piano de Falla, et, succédant au violoncelle d’Othmar Müller qui récupère le chant mélodique de la Première Gymnopédie de Satie, concluent sur la Sonate que Poulenc avait dédiée à Garcia Lorca, ami proche de Dalí dont le destin tragique est rappelé par le dramatisme de la pièce. Assurément, Prades sait accorder les correspondances artistiques.

Par Gilles Charlassier

Festival de Prades, du 24 juillet au 13 août 2017

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