17 juin 2019
Police d’Etat

 

Libération en fait sa une de ce vendredi 14 juin : les violences policières, et plus exactement le déni du gouvernement, avec une photo du ministre de l’Intérieur, légendée « Et si on en parlait Monsieur Castaner ? », référence au refus de la place Beauvau de répondre aux demandes de l’ONU sur la répression des manifestations des gilets jaunes, plaçant « l’Etat en illégitime défense », pour reprendre le titre d’un des articles du dossier consacré par le quotidien à ce sujet brûlant, alors que les braises du mouvement ne s’éteignent toujours pas. L’IGPN vient de dévoiler les statistiques de l’IGPN pour l’année 2018, qui reflètent une explosion d’enquêtes judiciaires – 1180, dont la moitié concernent l’usage de la force, avec une évidente concentration sur novembre et décembre, alors que pourtant les services administratifs s’attachent à les décourager avec persévérance – concomitante avec celle de l’usage d’armes de défense (trois fois plus élevé que pour les millésimes antérieurs : il est vrai qu’il y a des stocks à écouler, ainsi que l’avait révélé le Canard) avec son lot de blessés et d’éborgnés, dont les images nourrissent la Toile, semaine après semaine.
L’institution se barricade derrière son bon droit, pour ne pas s’interroger sur des méthodes de maintien de l’ordre qui se confondent passablement avec une sorte de répression politique, ce qui n’a pas échappé aux instances internationales. Le soutien sans faille, jusqu’au mensonge, que Castaner prodigue à ses poulets, et à leurs syndicats, qui se verraient bien faire l’économie de la justice quand elle les met en cause, sert de câlinothérapie à des effectifs dont on ne saurait se passer en période d’une « vigilance attentat » qui a d’abord la vertu de maintenir les populations dans la peur d’un terrorisme, qui, somme toute, et mis à part le 13 novembre 2015, fait moins de morts que dans les années 80.

La France, démocratie policière

C’est un fait : les forces de l’ordre sont épuisées, sollicitées à l’excès par une demande de sécurité finalement assez morbide. Mais, grâce aux réformes initiées par Sarkozy, lorsqu’il était à l’Intérieur, les flics sont aussi moins formés, moins longtemps, et le délitement de l’intérêt collectif faisant le reste, ceux qui prennent les samedis « gilets jaunes » pour un terrain de défoulement deviennent plus nombreux – et les dérapages avec.
On peut bien sûr faire comme Le Figaro, mettre l’accent, avec une interview de la directrice de la Revue des deux mondes, en dernière page, sur les ressorts de haine et de jalousie dont témoignent parfois les gilets jaunes, héritage de la passion égalitarisme née de 1789, sur laquelle le quotidien de Dassault s’empresse d’exercer la devise de Beaumarchais qu’il a fait sienne, en authentique suppôt d’un capitalisme libéral au service du pouvoir et des fortunes établies. Mais à ne pas revoir des procédures, en terme de recours contre les abus des forces de l’ordre, qui rapprochent plus la France de la Turquie que de la Grande-Bretagne, et ne pas s’interroger sur une justice à deux vitesses, non seulement la « patrie des droits de l’homme » se décrédibilise sur la scène internationale, mais une telle stratégie nourrit les divisions et les rancunes entre la police et le peuple, que celui-ci perçoit a priori hostile. A trop vouloir protéger policiers et gendarmes, on finit par en faire des cibles. Macron, qui prétendait renouveler les pratiques politiques, et réutilise les méthodes de l’ « ancien monde » – avec sans doute le Qatar comme ultime modèle de démocratie, puissance partenaire commercial, qu’il convient de ne pas trop froisser – devrait y réfléchir, avant que la partition de la société, à laquelle les élites aspirent secrètement, ne se transforme en barricades.

Par Gilles Charlassier

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