29 octobre 2011
Planètes infidèles

La nuit avait été courte. A peine quatre heures pour allonger son corps avant que les yeux d’Anna ne s’ouvrent à nouveau. Elle avait écrit toute la nuit profitant de ces heures qui n’en sont plus, de ce temps qui devient élastique, volé sur les journées qui lui semblaient passer comme des éclairs. Les enfants étaient partis profitant de ces vacances où ils n’auraient plus à sortir du sommeil, chaque matin, hagards, comme réveillés en pleine nuit pour aller dans une école où les horaires avaient été décidés pour satisfaire les parents. Pour que tous ces hommes et femmes puissent prendre leur place dans le trafic, bloqués dans les embouteillages ou entassés dans le métro où elle se trouvait désormais, plaquée contre des corps -si lasse. C’était l’heure de pointe, ligne 2 place de Clichy. Attention, la dame est enceinte cria quelqu’un. Pardon, pardon entendait-elle à chaque fois que la porte s’ouvrait.
Puis une voix d’homme s’éleva du magma humain.
-T’es trop petit pour prendre le métro, toi! T’es comme Sarko, il le prend jamais lui, il se ferait écraser!
Anna sourit. On pouvait donc trouver un peu de charme à être là, un autre contentement, certes bref, que celui de se dire qu’elle avait de la chance d’échapper tous les jours à cela. Elle était là, non pour rentrer chez elle, pour répéter un rituel imposé chaque matin et chaque soir, non, si Anna subissait la promiscuité et la proximité de tous ces corps, c’était uniquement pour aller chercher sa voiture à la fourrière. Enfin, en prison comme elle s’amusait à le dire avec les enfants. Maman, regarde, ils emmènent une voiture en prison. Cela y ressemblait, non? Il fallait passer des portes électroniques, descendre un escalier sentant l’urine, rentrer dans le ventre de Paris comme elle l’avait fait quelques heures avant. Pour rien. Depuis un mois, la prison n’était plus la même pour les voitures enlevées dans ce quartier. Non, c’était à Bercy qu’il fallait désormais aller, loin de tout et inaccessible. Double peine. Payer de son argent et de son temps, de son énergie, de son bonheur. Depuis qu’elle avait réalisé que sa voiture n’était plus là, c’était en effet comme si le malin  était entré dans sa journée. Comme si  ces planètes qui lui étaient depuis des semaines si favorables avaient amorcé leurs révolutions,  l’abandonnant à toutes les difficultés possibles. Anna se demandait à quel moment de la journée le processus-irrémédiable s’était amorcé. Quel instant « T » avait été décisif pour que tout devienne dur, âpre au point de la laisser exsangue, ballotée telle une poupée de chiffon dans ce wagon. Etait-ce hier soir, quand elle avait garée sa voiture sur une zone de livraison? Non, bien sûr, la rue était résidentielle, elle avait tranquillement jusqu’au matin. Jusqu’à ces heures où elle avait vu le soleil se lever, penchée sur l’ordinateur, exaltée par les mots qui s’enchainaient sans mal. Fatiguée mais grisée par cette toute puissance que l’on ressent après une nuit blanche. Alors, elle avait oublié. Il avait fallu qu’elle remonte la rue, décidée enfin à aller dans cet organisme qui la rebutait tant, ces couloirs impersonnels où il faudrait attendre qu’un personnel las daigne s’occuper de vous. Elle avait d’abord tenté d’y échapper, allant sur internet, suivant la procédure, essayant de télécharger sans succès. Deux jours de suite elle avait repoussé, laissant le temps filer, 17 heures, ça arrive si vite, c’est si tôt dans la journée. Il avait fallu quelques secondes pour qu’elle réalise que non, la voiture n’était pas là car elle l’avait prise hier soir et qu’en rentrant elle s’était garée sur la place de livraison. Il était 16 heures passées. Oh non, pas ça, les jambes d’Anna s’était mises à trembler, un camion en double file cachait les voitures, la sienne était si petite, peut être était-elle derrière, mais oui, elle avait entendue que les contractuelles étaient en grève et puis c’était les vacances. Peut être. Elle avait tellement de chance en ce moment. Des semaines sans qu’elle ait eu de PV. Ce n’est pas qu’elle ne faisait pas attention mais bon, dans ce hold up organisé et légal, c’était devenu si dur d’y échapper. Ainsi ce couple de retraités, madame assise sur une chaise en plastique pendant que Monsieur sort un chéquier bien plié là, dans cette petite guérite entourée de grilles. Car elle y était enfin à cette fourrière. La nuit était tombée. Le taxi avait raté l’entrée du périphérique. Tout était bloqué, congestionné de voitures. Payer pour se retrouver dans les embouteillages. Comment cette violence pouvait elle être permise par l’état? Pour répliquer, seuls les mots pourraient lui servir de balles. Les salopards, les salopards. Elle n’avait pu s’empêcher de le crier haut et fort, dans la rue, revenant sur ses pas pour remettre le chien dans l’appartement, à la première fourrière où elle n’avait pas trouvé sa voiture et dans le premier taxi, racontant sa mésaventure au chauffeur qui l’avait conduit-pour rien-dans ce sous sol aux allures de purgatoire. Il fallait le dire, s’indigner contre cette violence urbaine alors que sa voiture n’avait gêné personne. Il n’y avait que des immeubles d’habitation dans la rue. Et cette zone livraison avait été marquée là précisément pour que le véhicule officiel de la représentante de la Palestine puisse se garer devant son logement qu’elle avait quitté depuis l’an dernier. Mais l’emplacement était resté. Il y avait de quoi être en colère, n’est-ce pas? Anna cherchait l’assentiment mais également le réconfort. Qu’on lui dise qu’elle n’était pas toute seule. Que face à cette violence qui venait de lui être faite, on la soutenait. De l’empathie, oui, c’est cela qu’elle quémandait desespérément en racontant son histoire à l’africain flegmatique qui lui demandait 136 euros et ses papiers pour lui restituer son véhicule. Anna vit son oeil s’éclairer. Elle avait donc réussi à l’émouvoir, lui qui derrière son guichet devait servir à longueur de journée de putching ball verbal. Alors, elle avait payé et puis dans ce parking à ciel ouvert où la nuit était tombée, elle avait retrouvé sa « bébé » voiture comme l’appelaient les enfants. Deux horribles autocollants impossibles à arracher ornaient la vitre conducteur. Anna fila rive gauche ne sachant pas très bien où elle allait. Quelle horrible journée cela avait été. Elle était épuisée. Bientôt, elle serait chez elle. Elle songea alors à ses huitres qui l’attendaient dans le frigidaire. Elle se mit à sourire. Oh oui, tout irait bien maintenant. Puis, elle réalisa qu’elle n’avait pas toussé de la journée. Que son corps avait été docile comme il ne l’était plus depuis des jours. Il avait obéi sans être à bout de souffle. Alors Anna remercia cette journée et les planètes. Grâce à elles, elle s’était remise à respirer.

 

par Laetitia Monsacré

 

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