13 février 2014
Pierre Assouline / Théâtre d’ombres

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 Sigmaringen, une ville qui selon le mot de Georges Perec évoque  » l’histoire avec une grande hache ». C’est à ce lieu où fuirent un millier Français en 1944, dont le Marechal Pétain, Laval ou Céline que Pierre Assouline a choisi de consacrer son dernier roman. Et de décrire la vie sens dessus dessous parmi l’aristocratie, les politiques, les serviteurs, les collabos et les nazis dans cette ville citadelle, dominée par un magnifique château; l’occasion d’ aller à la découverte d’une page peu glorieuse de notre histoire, à travers l’œil redoutable du valet allemand Julius Stein qui « a reçu une éducation de prince » et se retrouve chargé de servir royalement ces hôtes improbables. Là, «  les Français s’enfonçaient dans la mélancolie, tandis que les Allemands désespéraient d’en sortir » tandis que l’écrivain revient sur la grande infirmité des Allemands dans l’art de la conversation: «  La syntaxe. Trop contraignante. La position des verbes à la fin des phrases nous oblige à soliloquer. On ne peut pas nous interrompre si on veut comprendre de quoi il retourne. »

Il faudra pourtant que ces deux peuples cohabitent dans un petit coin d’Allemagne, avec Pétain, Laval et ceux d’ »en haut » installés au château des Hohenzollern ; pendant huit mois, ils vivront d’ennui, de ragots, de détestations, de guerre intérieure, sous les yeux des Allemands dont on a réquisitionné le château et la ville pour les loger. C’est ce que Marcel Déat, ministre du Travail appellera la  « sigmaringite » et que soignera Céline, ce bon docteur Destouches, « venu ici parce que les terroristes m’ont foutu la mitraillette au cul. » En bas, dans la ville, vit le reste des Français, ou plutôt survit en se nourrissant de « pâté de choux rouges, rutabagas, misérables pommes de terre, eau du robinet glacé.  »

Sigmaringen, microcosme chez les Hohenzollern, dans le macrocosme de la France collaboratrice : « plus fascistes que la plupart des Allemands de cette ville (…) les plus mauvais des Français, des Français pro-allemands dans le pire sens du terme, car rien n’est pire que ce qu’ils croient aimer en nous. Notre part maudite, notre folie collective… ». Sigmaringen,  ville expiatoire et roman sur une déliquescence historique est une des belles lectures de cette rentrée.

Par Dominique SAINT-CLAIR

Sigmaringen  de Pierre Assouline publié chez Gallimard   360 p.  –  21 euros

 

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