20 janvier 2012
Peter et Dominique à Madrid

On vous l’avait annoncé il y a quelques semaines dans The Pariser, le surprenant duo Iolanta/Perséphone du Teatro Real à Madrid est incontestablement l’un des grands évènements de la scène lyrique en ce mois de janvier. Si l’on précise que la mise en scène de ces deux œuvres rares a été commandée à Peter Sellars, on comprend sans peine le retentissement du spectacle jusque dans la presse internationale, ce dont la revue bimensuelle de la maison madrilène ne manque pas de se faire l’écho.

Un voyage initiatique

Peu de choses relient à première vue, Iolanta, le dernier opéra de Tchaïkovski, en un acte, qui évoque le destin de la fille aveugle du roi René de Provence – en plein Moyen-âge légendaire –,  et l’Antiquité mythologique de Perséphone, mélodrame en trois tableaux sur un poème d’André Gide. D’un point de vue du style, l’association laisse également perplexe : la première œuvre fait résonner le romantisme tourmenté du compositeur russe et fait appel à des voix puissantes, tandis que la seconde déploie une esthétique néoclassique, mêlant déclamation théâtrale et danse. Et pourtant, l’une comme l’autre, à travers une figure féminine exemplaire, raconte un passage initiatique de l’ombre à la lumière – de la cécité à la découverte du monde visible pour Iolanta, le retour du séjour des Enfers pour Perséphone. C’est sur cette parenté dramaturgique que s’appuie le spectacle conçu par Peter Sellars.

Iolanta, la révélation

Le metteur en scène américain nourrit une prédilection pour les scénographies minimales, et le dispositif de cette production ne fait pas exception : un plateau presque nu, habillé par quelques chambranles pour toutes portes. Bien évidemment, les costumes ne s’embarrassent pas d’exotisme historicisant. Après les sonorités âpres d’un prélude singulier confié presqu’exclusivement aux bois, Iolanta capte progressivement notre attention, pour ne plus la lâcher jusqu’à la fin, soutenue par la poésie épurée des éclairages et des immenses toiles abstraites qui se succèdent tout au long de l’opéra. La prière du père, le roi René ; la scène avec le médecin mauritanien – puissante confrontation de basses – ; ou encore le duo d’amour passionné entre l’héroïne et Vaudémont, comptent parmi les plus belles pages de cette œuvre très inspirée. La solennité du finale, au triomphalisme un peu monolithique, en explique peut-être le paradoxal manque de succès public. Mais servie avec des voix aussi remarquables que Dimitry Ulianov – le roi René –, le vénérable William White en guérisseur, Ekaterina Scherbachenko – Iolanta au timbre capiteux et à l’innocence bouleversante –, ou encore le comte de Vaudémont, incarné avec vaillance par Pavel Cernoch, nul doute que cet opus lyrique saura convaincre de sa légitimité au répertoire – sans oublier les chœurs, ni la flamme de la direction du chef grec Teodor Currentzis.

La rédemption inachevée de Perséphone

Au sortir d’une telle intensité, la seconde partie de la soirée risquait de faire presque figure de divertissement. Et il faut reconnaître que la transparence de l’écriture de Stravinski dans Perséphone n’y est pas étrangère. Ce n’est donc pas un hasard si la scénographie diffuse ici une luminosité solaire en accord avec l’apparente sobriété expressive de la partition. Si Paul Groves s’acquitte honorablement de la partie chantée, atténuant le ridicule de son costume blanc d’aveugle à lunettes noires qui lui donne des allures de Gilbert Montagné – chaque époque a sans doute l’Homère qu’elle mérite –, on ne saurait en dire autant de la performance de Dominique Blanc : amplifiée, la parole déclamée perd son authenticité – c’est pourtant le propre des grandes comédiennes que d’avoir une voix qui porte. Quant aux chœurs et aux enfants, ils font un effort louable de prononciation. Car la clarté du français, miroir de l’orchestration de Stravinski, s’avère essentielle pour goûter cette œuvre subtile. Et il ne faut pas compter sur la chorégraphie confiée à des danseurs cambodgiens et oscillant entre minimalisme et hiératisme, pour laisser s’épanouir l’originalité de Perséphone. On pourra cependant se consoler avec la retransmission en direct sur France Musique, le 24 janvier, et entendre deux opéras injustement méconnus.

Par Gilles Moiné-Charassier

Du 14 au 29 janvier, Teatro Real, Madrid.

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