Depuis près de trois décennies, Peralada donne rendez-vous chaque été aux mélomanes venus se mêler à la bonne société catalane dans l’enceinte d’un château où chaque soirée commence par l’immuable rituel du gargantuesque buffet gastronomique dans le restaurant sous tentes au milieu de la cour. Si l’ensemble des arts de la scène se trouve à l’honneur, un accent particulier est mis sur le répertoire lyrique. Il n’y a ainsi aucun hasard à voir la bibliothèque de la prestigieuse demeure accueillir un hommage à Victoria de los Angeles. Autour de Teresa Berganza, autre tenante légendaire du rôle, est évoquée celle qui fut l’une des grandes interprètes de Carmen, avant une création autour du personnage inspiré par la nouvelle de Mérimée.
Carmen en versions contemporaines
Dans le cloître des Carmes baigné par la douceur nocturne, ce sont trois variations autour de l’histoire de la rebelle sévillane, des Enfers à la conclusion d’un fait divers dans une chambre mortuaire en passant par un restaurant, comme autant de manières de revisiter l’opéra de Bizet, dont on reconnaît au fil du spectacle les anamorphoses et pastiches des motifs les plus célèbres, reliées entre elles par un ersatz de conférence où l’on retrouve les trois solistes parodiant les rivalités du drame en version universitaire, le tout confié à quatre duos librettiste-compositeur. Alléchant sur le papier, le projet creuse de manière intéressante l’envers, les marges ou l’épilogue de l’oeuvre originale. Il finit pourtant par décevoir au terme d’une heure et demie sans entracte, mais non sans ennui, inégale sur le fond comme sur la forme, soutenu par un décor réduit au strict minimum, conçu par Marc Rosich aux confins du café-théâtre. Essentiellement juxtaposition, la construction ne dépasse guère l’habileté, quand la musique s’abstient d’avant-garde, sans toujours se départir d’une allure illustrative. On ne manquera pas d’apprécier la variété des affects au fil des relectures et des partition, du flash-back de l’outre-tombe à la comédie fourmillant d’effets et de paroles dans l’auberge, tandis que le cadavre de la gitane est escorté par un tempo lent et pesant, surligné par les incontournables d’une scène de crime et de police. L’engagement dramatique de Marta Gracia Cadena et le solide baryton Nestor Pindado se révèlent nettement plus convaincants que l’inconsistant ténor Toni Viñals.
Juan Diego Florez ou l’opéra français sous charme latin
Le lendemain jeudi 6 août, le vaste auditorium du parc reçoit, sous les étoiles, un Juan Diego Florez ambassadeur du romantisme français, dans un récital avec l’Orchestre de Cadaquès, sous la direction plus servile qu’imaginative d’Espartaco Lavalle. Rythmé par des ouvertures et pages orchestrales plus ou moins connues – de Carmen ou La Farandole tirée de L’Arlésienne de Bizet au Ballet des Troyens de Berlioz ou Le Toréador d’Adam, où éclat et à-propos rythmique ne semblent pas toujours aller de pair – le programme offre l’avantage d’offrir au ténor péruvien des pages que l’endurance d’une production lyrique lui interdirait, à l’image d’un Werther – « Pourquoi me réveiller » – irradiant une inhabituelle et légère luminosité. Faust et son « Salut! Demeure chaste et pure » se rapproche davantage de sa stature, et plus encore la solaire aubade de Roméo du même Gounod – « Ah !Lève-toi soleil ». Si le jeu comique dans l’air de Pâris « Au mont Ida » extrait de La Belle Hélène d’Offenbach pourra paraître un rien appuyé, l’on ne résistera pas à la vaillance d’Edgardo – « Tombe de mes aïeux », dans Lucia de Lamermoor – qu’il étrennera sur la scène du Liceu de Barcelone cet automne, incursion dans le répertoire italien qui se prolonge avec Lucrezia Borgia du même Donizetti – « T’amo qual s’ama un angelo », alors que « Un ange, une femme inconnue » de La Favorite confirme une plus qu’estimable maîtrise de la langue français. Le triomphe aux saluts démontre s’il le fallait, que l’aura de Juan Diego Florez demeure intacte.
Par Gilles Charlassier
Festival de Peralada – juillet-août 2015 – concerts des 5 et 6 août 2015