6 février 2018
Pelléas en danse cosmique à Anvers

Les commémorations du centenaire de la mort de Debussy ne sauraient laisser les institutions lyriques indifférentes, et pas seulement en France. C’est ainsi que l’Opéra des Flandres a commandé au directeur de son ballet, Sidi Larbi Cherkaoui, associé à son partenaire artistique attitré, Damien Jalet, une lecture originale de Pelléas et Mélisande. Même si l’on compte sept danseurs, soit le même nombre que de personnages du drame, le concept ne se limite pas à la platitude d’un dédoublement chorégraphique. Les corps fonctionnent davantage comme une matière traitée parfois de manière sculpturale, imitant par exemple les rochers de la grotte au bord de la mer, ou les pierres au milieu desquelles joue Yniold sur la plage, au diapason des gemmes translucides qui meublent le plateau, telles des stalactites ou des stalagmites.
C’est au fond une conception assez minérale, qui répond au décor imaginé par Marina Abramovic, déclinant une fascination pour le mystère du cosmos, avec de belles images galactiques. Enrichie par les vidéos de Marco Brambilla et rehaussée par les lumières d’Urs Schönebaum, la scénographie immerge le spectateur dans l’étrangeté symbolique de l’univers de Maeterlinck. La perspective de planètes qui s’éclipsent participe des variations formelles autour de l’anneau, autant bord de la fontaine qu’alliance qui tombera dans les profondeurs de l’eau. Si elle ne renouvelle sans doute pas radicalement l’approche de l’oeuvre, la présente lecture n’en trahit pas la décantation métaphorique, également restituée par les costumes d’Iris van Herpen, un des grands noms de la couture flamande d’aujourd’hui.

Les sortilèges de l’orchestre

Une telle vision éthérée et un peu froide, comme le royaume d’Allemonde, se trouve contrebalancée par l’intelligent foisonnement sensuel de la direction d’Alejo Pérez. Non content de rendre lisible les textures et l’architecture de la partition, le chef argentin infuse une luminosité dont les pupitres de l’Orchestre symphonique de l’Opéra des Flandres se font le relais. La finesse et la souplesse des lignes s’habillent d’une séduisante douceur, tandis que la baguette restitue l’originale synthèse des influences qui nourrissent l’écriture musicale, de l’empreinte attendue de Wagner et de son Parsifal, aux transparences orchestrales héritées de la tradition française, et en particulier Berlioz, en passant par un travail des registres évoquant Bruckner. En somme, le travail analytique magnifie les sortilèges sonores.
Bien que non francophone, la distribution démontre une appréciable maîtrise de la diction, essentielle dans la déclamation chantée debussyste, même si les interprètes se révèlent un peu en retrait de la fosse. En Mélisande, Mari Eriksmoen fait poindre un soupçon de féminité sous l’innocence de la jeune fille, face à laquelle le Pelléas de Jacques Imbrailo affirme un lyrisme aussi attachant, quoiqu’un peu trop marqué pour rester dans le génie du style. Le puissant Golaud de Leigh Melrose fait souvent l’économie d’un certain legato, sans pour autant renoncer à la complexité psychologique : l’effondrement de la carapace au dernier acte n’en sera que plus saisissant. S’il possède les notes d’Arkel, l’autorité paternelle de Matthew Best ne recherche pas l’onctuosité, tandis que Susan Maclean assume honnêtement les interventions de Geneviève. Membres du Jeune Ensemble de l’Opéra des Flandres, le frais Yniold d’Anat Edri et le solide Markus Suihkonen, berger et docteur, complètent le tableau. Mentionnons enfin les murmures du choeur, réglés par Jan Schweiger.

Par Gilles Charlassier

Pelléas et Mélisande, Debussy, Opéra des Flandres, du 2 au 13 février 2018 à Anvers, et du 23 février au 4 mars 2018 à Gand

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