Il fait froid, très froid même pour qui n’est pas habitué à l’hiver québécois. Les fêtes de fin d’année approchent, et avec, une programmation culturelle plutôt familiale. Tout le monde n’y succombe pas, et dans le tissu théâtral montréalais, La Chapelle offre un panorama varié de la création contemporaine. C’est le Collectif Quatorze 18, emmené par Christian Lapointe, qui referme la saison d’automne, avec une reprise d’une pièce de Marcel Dubé, Les beaux dimanches, un classique du répertoire québécois sur l’incommunicabilité, qui fait penser à Tchekhov et à Cassavetes.
On est dans la maison d’une famille de la classe moyenne des années soixante. C’est un dimanche d’été, et le couple a reçu des amis, tandis que la fille, adulescente, est discrètement sortie. Dans une atmosphère de lendemain de fête, la gueule de bois libère les frustrations et les rivalités sur fond de conventions et d’hypocrisies auxquelles personne finalement ne voudra vraiment renoncer.
Artiste en résidence à l’Ecole Nationale de Théâtre du Canada, Christian Lapointe a travaillé en 2016 avec une classe de deuxième année d’interprétation. Des affinités se sont tissées et le groupe a monté un spectacle marqué par les coïncidences. Alors que l’on travaillait sur Marcel Dubé, l’écrivain meurt le 7 avril. Plutôt que de reprendre les noms des personnages de la pièce, le metteur a choisi de faire jouer les acteurs sous leur propre nom, comme si l’on était en répétition. Seul un sweat avec un numéro indiquant leur âge condense l’identité fictive. Le résultat brouille les frontières entre le passé et le présent, présentant en miroir à notre société le consumérisme naissant des sixties.
Dans un décor de piscine éclairé efficacement par Chantal Labonté, les protagonistes se noient dans leurs contradictions, avec une gestuelle et un ton déclamatoires qui dépassent le simple procédé et résument la violence contenue en chacun, couvant sous les habitudes et les traits acérés d’un humour acide. A l’heure des désillusions, la dernière partie superpose sur les dialogues une projection de la pièce filmée dans les années soixante-dix, troublant les barrières générationnelles. On ne sait plus très bien si ce sont les acteurs de la pellicule cinématographique ou les jeunes comédiens que l’on a devant nous qui jouent le drame. L’effet est virtuose, par-delà l’incident technique immobilisant sur la figure de l’alter ego d’Etienne Courville, le paterfamilias passablement veule qui fait le lever de rideau – et le referme. Deux ans après la création du spectacle, on devine une maturation, que ceux qui ont assisté à la première série de représentations confirmeront lors de l’échange avec l’équipe artistique après une soirée d’un peu plus de deux heures, sans entracte, pas toujours sans longueurs, mais au final irrésistiblement attachante.
Par Gilles Charlassier
Les beaux dimanches, Théâtre de la Chapelle, Montréal, décembre 2018