27 février 2017
Nouveautés lyriques à Madrid

 

De Bruxelles à Madrid, Gerard Mortier a montré un constant engagement en faveur de la création contemporaine, dans un esprit d’ouverture qui dépassait les clivages esthétiques. Les ouvrages qu’il a commandés pour le Teatro Real, l’ultime maison dont il a eu les rênes, en témoignent : pour ne citer que les plus récentes que nous avons chroniquées, des œuvres aussi différentes que le portrait du controversé Walt Disney par le minimalisme de Glass avec The Perfect American, le dramatisme cinématographique du Brokeback Mountain de Charles Wuorinen inspiré par la nouvelle d’Annie Proulx et son adaptation oscarisée ou la théâtralité excentrique de El Publico de Mauricio Sotelo d’après une pièce de Garcia Lorca jamais représenté du vivant du poète espagnol, si ce n’est un soin particulier accordé à la qualité dramaturgique, pour inviter le spectateur au-delà du simple divertissement : pour Mortier, l’opéra est un acte politique.

Ultime hommage à Gerard Mortier

Il était donc tout naturel de dédier les représentations de La ciudad de las mentiras d’Elena Mendoza à la mémoire de celui qui avait été à l’initiative du projet. A partir de quatre nouvelles de Juan Carlos Onetti, Matthias Rebstock entremêle les quatre destins de femmes qui jouent avec le mensonge pour survivre à la monotonie de leur ville, Santa Maria. Célébrant le rêve et l’imaginaire, le livret n’a pas choisi la juxtaposition logique et linéaire des histoires, et les confond dans un irréel où elles se font écho les unes avec les autres. Pour séduisante que puisse être l’idée, elle se révèle parfois délicate à suivre, surtout pour qui n’est pas familier de la source littéraire, d’autant que la partition s’obstine dans les marges de la musique – avec des instruments contenus entre souffles et chuchotements – et du chant, plus souvent déclamé que chanté. Auto-promu original, le doublement des voix par des solistes en fosse, assaisonné de spatialisation, finit rapidement par se réduire à une imitation plus proche de l’installation sonore que de la dialectique de l’opéra, voire du théâtre musical – rapidement bavarde malgré la durée de moins d’une heure trente. Il n’est d’ailleurs sans doute pas anodin que le texte soit signé par le metteur en scène, liant intimement l’ouvrage, sinon sa postérité, à une scénographie élégante et un rien abstraite. On n’en saluera pas moins la direction convaincue de Titus Engel comme la performance des interprètes, et en particulier les quatre héroïnes, Katia Guedes, Anne Landa, Anna Spina et Laia Falcon.

Billy Budd ou l’opéra en version masculine

En alternance, le Teatro Real fait enfin entrer à son répertoire Billy Budd de Britten, dont on peut regretter la relative rareté sur les scènes, en particulier françaises. Adapté du roman éponyme de Melville, le drame relate le destin sacrifié d’un jeune marin : provoqué par le capitaine d’armes Claggart qui l’accusait calomnieusement de mutinerie pour se débarrasser d’un soldat dont la beauté physique et morale, fascinant l’équipage du navire de guerre L’Indomptable, lui était devenue insupportable. Très plastique avec ses cordages à vue, métonymie marine qui symbolise aussi l’implacable mécanique de la hiérarchie militaire, le spectacle de Deborah Warner ne s’attarde pas sur l’attirance homosexuelle refoulée par Claggart, et privilégie une opposition parabolique morale entre un sadisme et une innocence face à laquelle celui-ci se sent humilié, donnant à l’ensemble une portée universelle magnifiée par les bleus océaniques et nocturnes des lumières de Jean Kalman qui rehaussent les décors épurés de Michael Levine.

Dans le rôle-titre, Jacques Imbrailo affirme une juvénilité sans artifice qui restitue admirablement la personnalité du personnage, contrastant avec la noirceur du Claggart de Brindley Sherratt, d’une indéniable plénitude de moyens. Toby Pence incarne la lâcheté tourmentée de Vere, face à laquelle resteront impuissants Redbrun et Flint, respectivement dévolus à Thomas Oliemans et David Soar. Parmi les incarnations secondaires qui peuplent cet opéra exclusivement chanté par des hommes – un réalisme qui a aussi valeur de manifeste dans le genre lyrique – on retiendra entre autres le Dansker généreux de Clive Bayley, ainsi que les choeurs, préparés par Andrés Máspero, sans oublier la direction parfois instinctive d’Ivor Bolton dont les pupitres madrilènes essaient au mieux de tirer parti.

Par Gilles Charlassier

Billy Budd et La ciudad de las mentiras, Teatro Real, Madrid, février 2017

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