26 janvier 2013
Nicolas d’Estienne d’Orves / Double jeu

Dans notre imaginaire collectif s’est cristallisée l’idée que la seconde guerre mondiale fut en France le temps des résistants et des collabos, des « justes » et des salauds, d’un monde où le bien s’affrontait au mal et où les Français ne pouvaient tomber que d’un côté ou de l’autre. La réalité est plus complexe…Et c’est tout l’art de Nicolas d’Estienne d’Orves que d’explorer cette zone grise, cette épaisseur humaine où les choses ne se dessinent pas en noir et blanc. Dans son dernier roman, Les fidélités successives, il nous emporte dans la vie d’une famille vivant dans les îles anglo-normandes et dont les enfants se retrouvent précipités, à la fin des années trente, à ce moment où « le monde devient fou », dans la tragédie de la guerre et de l’occupation allemande. Autant dire qu’ils ne ressortiront pas indemnes de la « gabegie » morale qu’il y eut dans la France de ces années-là. « J’étais trop ambigu pour mon époque, trop inclassable. La France aime les cadres et les cases. Il n’y a pourtant aucune logique dans ma vie. Juste un destin. Le destin d’un homme à cheval entre deux cultures, deux mondes, deux pays, deux rives, deux aspirations, deux familles d’esprit, deux rêves de gloire, deux amours. »

Le double, thème récurrent

Mais ce récit est aussi celui de la rivalité mimétique entre deux frères, Guillaume et Victor, qui désirent tous deux leur demi-sœur, Pauline, apportant au roman un aspect psychologique intime qui se confronte au fracas de l’histoire en marche. Une parabole sur la figure du double à travers ces personnages qui deviendront progressivement des frères ennemis et revivront la tragédie d’Abel et Caïn ou d’Etéocle et  Polynice, métaphore de la guerre civile que la France traversait à cette époque. La figure du double s’exprime aussi dans l’âme de Guillaume Berkeley, le héros, qui passera d’une duplicité subie à une duplicité choisie, devenant un collabo exemplaire pour mieux sauver ces familles juives menacées d’extermination.

Le style de l’auteur, journaliste par ailleurs à la plume bienheureuse, féru d’opéra et dandy dans la droite lignée d’Oscar Wilde est par ailleurs un vrai plaisir pour décrire ses personnages qui semblent avoir épousé le vœu de troisième Pythique de Pindare : « Ne va pas, ô mon âme, désirer une vie sans fin mais épuise le champ du possible ».

Par Amadys de Gaule

Les Fidélités successives, de Nicolas d’Estienne d’Orves, publié chez Albin Michel,  24 €.

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