19 juin 2015
Vicence, entre Mozart, Rossini et l’Arménie

Armenia Tradizioni di un popolo fra sacro, popolare e contemporaneo

Creuset de l’art d’Andrea Palladio, à mi-chemin entre Venise et Vérone, Vicenza a gardé en ses murs comme dans plusieurs villas autour de la cité l’empreinte d’un des plus grands architectes de la Renaissance italienne qui s’est largement nourri de l’Antiquité, romaine entre autres, et des traités de Vitruve en particulier. Avec son fond de scène jouant de perspective en trompe-l’œil réalisé par Vincenzo Scamozzi pour l’inauguration en 1585 – encore en bon état, un cas unique – et ses quelques 400 places en gradins semi-circulaire, le Teatro Olimpico, ultime conception de Palladio, constitue un écrin inimitable auquel n’a pas su résister le chef d’orchestre Giovanni Battista Rigon, au point d’y imaginer en 1992 un festival, les Settimane musicali, en mai-juin.

Don Giovanni en baskets et vidéos

La vingt-quatrième édition s’articule autour de deux productions d’opéra, Il Signor Bruschino, au cœur d’un cycle pluriannuel présentant les cinq premiers ouvrages de Rossini, et Don Giovanni. Pour le Mozart, le maestro italien a choisi la version que le compositeur avait écrite pour Vienne en 1788, un an après la création à Prague, à rebours de l’usage consacrant une synthèse des deux moutures. Outre le finale qui fait l’économie des trois minutes où les personnages annoncent leurs résolutions, à l’instar de Donna Elvira qui va se retirer dans un couvent, et deux ou trois plus ou moins menues coupures dont l’air d’Ottavio, Il mio tesoro intanto, on découvre surtout un remarquable duo, riche d’une belle versatilité toute mozartienne, où Zerlina se montre sans pitié pour Leporello qui avait endossé les habits de son maître.
C’est d’ailleurs le valet qui se trouve au cœur de la mise en scène de Lorenzo Regazzo – lequel a d’ailleurs plusieurs incarné le rôle sur scène, comme celui du libertin. Tandis qu’on le voit comploter pendant l’ouverture, c’est lui qui tirera sur le séducteur, tel le bras armé du jugement du Commandeur. Crâne chauve et baskets à la mode, Don Giovanni a l’allure d’un éternel adolescent à l’aura discutable, pour qui les jeux de l’amour et de la console vidéo reviennent au même. Les déplacements des protagonistes en suivent une artificialité qui finit par irriter quelque peu, même si la direction d’acteurs sait tirer parti d’un espace contraint, usant d’une scénographie minimale – un fauteuil, un podium – mais nullement minimaliste. L’ensemble ne manque pas d’idées, à l’image de confier le Commandeur et Masetto au même chanteur, l’un et l’autre étant des empêcheurs de draguer et d’abuser en rond – le premier défendant l’honneur de sa fille, et le second, celui de sa femme. Et l’Elvira égarée en prétendante à un speed-dating télévisuel – qui se décline ensuite en projections vidéo – compte parmi des trouvailles caustiques renvoyant à notre société contemporaine.

La vitalité de la jeunesse

Tenu par Luca Dall’amico, le rôle-titre mêle assurance et immaturité, d’une séduction plus frontale qu’insinuante, et de fait plus ridicule que vénéneuse. Il faut certes un temps pour s’adapter à la voix un peu renfrognée du Leporello de Giovanni Furlanetto, doué cependant d’une présence évidente. Anna Viola incarne une Donna Anna sur talons aiguilles chiche en sensualité, face à l’Ottavio tendre de Matteo Macchioni. Abramo Rosalen passe de la rusticité de Masetto à un Commandeur imposant sans excès, quand on goûtera la légère et piquante Zerlina de Minni Diodati. Mais c’est bien l’Elvira d’Arianna Venditelli que l’on retiendra avant tout, douée d’une voix au caractère prometteur, et qui sait jouer avec passion l’hystérie trompée. Sans oublier les chœurs de l’Iris Ensemble, l’on saluera l’énergie savoureuse impulsée par Giovanni Battista Rigon à l’Orchestra di Padova e del Veneto. Mentionnons enfin le dispositif Lyri, traduction simultanée sur le smartphone – le théâtre ne donne pas de surtitres – pour sept euros à l’entrée. Proposant, outre le texte en italien, l’anglais, l’allemand, le français et l’espagnol, l’application, imaginée par une paire de jeunes mélomanes versés dans l’informatique,  ne prolonge hélas pas le plaisir du livret au-delà de l’éphémère du spectacle.

Dépaysement arménien

Les Settimane musicale al Teatro Olimpico, ce sont aussi des concerts, mélodies et formations de chambre, avec un accent sur Bach, ainsi qu’une soirée consacrée à l’Arménie –  incontournable en cette année de commémoration du centenaire du génocide perpétré par la Turquie pendant la première guerre mondiale – avec la présence de l’ambassadeur du pays caucasien en Italie. Pour autant, le programme concocté par la violoniste Sonig Tchakerian ne s’enferme pas dans cette mémoire douloureuse, et préfère inviter les spectateurs à un voyage musical, qui s’ouvre avec la Sonate pour violon et piano de Khachaturian, livrant une autre face du génie de l’auteur de la célèbre Danse du sabre. On embarque ensuite pour une traversée au fil de pages religieuses et populaires, où résonnent les couleurs pastorales du duduk ou les rythmes du dhol. Avec les numéros dansés en conclusion, on se laisse emporter par le dépaysement d’une simplicité teintée d’une délicate mélancolie, affirmant plus que jamais l’histoire et la vitalité de la culture arménienne, et son surprenant mélange, à la fois familier et exotique. On n’aurait pu lui trouver meilleur écrin que les stucs du Teatro Olimpico.

Par Gilles Charlassier

Settimane musicale al Teatro Olimpico, Vicence, mai-juin 2015 – Don Giovanni, Concert Arménie

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