10 novembre 2014

Fille régiment 1
C’est avec des valeurs sûres que le Teatro Real de Madrid ouvre sa saison lyrique, histoire sans doute de s’assurer le remplissage de la salle. Avec Mozart et Les Noces de Figaro, le pari est assuré d’être gagnant, et Emilio Sagi en donne une lecture élégante, essentiellement illustrative – ne manquent pas ni lune, ni les bosquets baignés d’une douce lumière quoiqu’un peu figée au quatrième acte – même si la direction d’acteurs reste souvent conventionnelle. Les voix sont honnêtes, à défaut d’être inoubliables – Luca Pisaroni troquant le Figaro qu’il a longtemps revêtu pour le Comte, Sofia Soloviy, parfois émouvante en Comtesse, Sylvia Schwartz et Andreas Wolf, inégal couple de domestiques, Susanna et Figaro, et Elena Tsallagova, joli Cherubino sans grand caractère. Quant à Ivor Bolton, sa première production au poste de directeur musical de la maison madrilène se distingue plus par un travail soigné qu’un vent de jeunesse que l’on s’attendrait à voir souffler sur une « Folle Journée » finalement bien sage.

Inusable Laurent Pelly

Avec La Fille du Régiment, le mois suivant, la fameuse production de Laurent Pelly qui a voyagé de Londres à Paris en passant, parfois plusieurs fois, par New York et Vienne, garantit une soirée pleine de piquant aux couleurs, sans doute involontaires, de la première guerre mondiale. C’est du moins ce à quoi font songer le bleu casqué des militaires – l’imagination induite par les commémorations. Mais rien de sombre dans cette évocation de la vie de caserne, entre deux batailles, que pimente Marie la vivandière, sur fond de carte européenne d’état-major en guise de paysage – décors toujours imaginatifs de Chantal Thomas– sur laquelle se pose, au second acte, l’intérieur compassé du château de la marquise de Berkenfield, avec l’irrésistible chorégraphie lassée des domestiques réglée par Laura Scozzi sur un délicieux intermède parodique pour cordes. Théâtre comique et bel canto forment ici un couple fusionnel comme jamais, et le spectacle ne s’est guère ridé au fil des ans.
Côté voix, Désirée Rancatore a pris le relais de Natalie Dessay, un soupçon d’excentricité en moins peut-être, mais elle ne lui cède en rien dans la péroraison des aigus. Ceux d’Antonino Siragusa s’avèrent robustes au point de sonner presque forcés, et son Tonio n’a sans doute pas le naturel de Juan Diego Florez. Luis Cansino affirme une gouaille indéniable en Sulpice, quand Rebecca de Pont Davies ne se montre pas toujours égale en marquise de Berkenfield. Rôle parlé de cabotinage généralement dévolu à une gloire lyrique passée ou une actrice reconnue, la duchesse de Crakentorp se pare d’hispanité avec Angelina Molina, qui compense un français plutôt aléatoire. C’est d’ailleurs le principal talon d’Achille de cette reprise, qui affecte à des degrés divers les protagonistes, et auquel n’échappe pas le chœur. Pour ses débuts au Teatro Real, Jean-Luc Tingaud – que l’on connaît à Paris et en province avec son ensemble de jeunes musiciens OstinatO – dirige efficacement l’orchestre de la maison. Pour l’audace de la programmation, il faudra attendre la suite de la saison, avec, par exemple, en fin d’année Mort à Venise de Britten, d’après la fameuse nouvelle de Thomas Mann, et contemporain du film de Visconti…

GC

Les Noces de Figaro, septembre 2014 et La Fille du Régiment, octobre-novembre 2014, Teatro Real, Madrid

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