29 août 2013
Mourir pour Damas

Il est a priori peu d’affinités électives entre le militaire et le journaliste. Le premier obéit sans poser de questions, le second pose des questions sans obéir-enfin en principe. Fin d’été 94. L’opération turquoise -mission humanitaire de l’armée française- bat alors son plein pour porter secours aux réfugiés rwandais dans les camps de Goma et Bukavu. Journaliste stagiaire, je fus de l’expérience, rencontrant là-bas des militaires qui honoraient cette idée de main tendue vers l’autre, aidés en cela par toute la force logistique de l’ armée pour secourir et protéger des gens n’ayant plus rien. Des hommes payés par l’Etat français pour en aider d’autres et qui me réconcilièrent avec l’idée que je me faisais de l’armée. Rajoutez des GI en hôtesses de l’air qui vous distribuent des boules Quies sur le vol d’un avion Air Force pour rentrer jusqu’à Istres, ce n’est qu’à l’aéroport de Marseille, un week-end de fin août comme cet été- que je redécouvris avec violence comment la solidarité était restée sur le tarmac africain. A Marignane, on se battait pour avoir une place sur un vol, on hurlait sur l’hôtesse car le café était froid -le retour à la réalité de nos vies égoïstes et privilégiées fut âpre. De quoi réaliser qu’une vie de « grand reportage » serait trop dure à encaisser, moins pour ce que je verrais sur place que pour le retour, cette confrontation avec des êtres semblant totalement « hors coeur » , ô combien insupportables après être confrontés aux détresses les plus profondes. Ce jeudi soir sur France 2, Martine Laroche Joubert montra avec son professionnalisme habituel des réfugiés en Syrie. 40 degrés sous la tente, des familles dans un dénuement total,  la peur au ventre d’être à leur tour gazées. Puis un micro-trottoir donna à entendre l’homme de la rue qui majoritairement ne veut pas intervenir aujourd’hui.  » Ce serait complétement débile, il n’y a qu’à les laisser se débrouiller ». La dame blonde avait l’air tout heureuse de dire cela. Les images d’enfants suppliciés, les femmes qui meurent sous les bombes en attendant le pain, ce  peuple qui agonise pour avoir voulu la même chose que nous -être libre de penser et s’exprimer, rien des images qu’elle avait pu voir ne l’avait donc touchée. Pas une once de solidarité humaine ne semblait exister sous ses racines décolorées. « Ça va coûter une fortune » a ajouté un homme, qui lui pensait déjà à son tiers prévisionnel. Voilà ce que les journalistes avaient choisi pour montrer l’opposition à l’intervention. De quoi stigmatiser sans doute une France où l’on n’était pas prêt comme la plupart des autres pays européens à mourir pour Dantzig, il y a soixante-dix ans. Pas plus qu’on ne l’est en 2013 pour Damas. Leur tendre la main et ne plus leur offrir une lâche indifférence, voilà qui paraît pourtant aujourd’hui plus qu’honorable. Et ce qui ressemble bien, n’en déplaise au pape François, à ce que l’on nomme la solidarité.

Par Laetitia Monsacré

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