16 décembre 2011

Avec sa barbichette et sa veste de velours noir, on ne pouvait pas le manquer. Il était surnommé le « Don Quichotte du Quartier Latin », un libraire généreux,  bohème voyageur, qui se faisait soigner par les Mayas et se vantait d’avoir vécu au Groenland avec une belle esquimaude. George Whitman s’est éteint chez lui, dans l’appartement qu’il occupait au-dessus de Shakespeare and Company, sa librairie, sur les quais de la Seine à Paris. Il venait de fêter ses 98 ans.
Au lendemain de sa mort, cet étonnant salon littéraire est resté fermé. Mais  en face de Notre Dame, devant la vitrine, de nombreux amis, des jeunes, des étudiants, des amateurs de livres du monde entier, des voyageurs s’y sont retrouvés malgré la pluie pour déposer des fleurs, allumer des bougies et rendre hommage au poète.

“Ne soyez pas inhospitalier envers les étrangers, Ce sont peut-être des anges déguisés”

Avec son air mutin, George a marqué tous ceux qui l’ont rencontré par sa liberté d’esprit et son excentricité. Des qualités illustrées par les vers du poète William Butler Yeats gravés sur les murs de Shakespeare and Company: « Be not inhospitable to strangers / Lest they be angels in disguise.’’
Vous souvenez-vous de ces étagères débordant de livres, de ces matelas dans chaque recoin, destinés à accueillir les écrivains de passage ? La librairie était devenue un refuge pour auteurs, lecteurs et routards. On pouvait y dormir en échange de quelques heures de travail ! Dans les années 1950, beaucoup d’écrivains de la beat generation tels qu’Allen Ginsberg, Gregory Corso et William Burroughs  logèrent dans ce que George Whitman appelait « une utopie socialiste se faisant passer pour une librairie ».  Il affirme ainsi que plus de 40 000 personnes ont dormi à un moment ou à un autre dans un des treize lits parmi les livres. Tout ce qu’il  demandait, c’était de faire son lit le matin, de donner un coup de main à la boutique et de lire un livre par jour. George était bien une institution. L’un des piliers de la scène littéraire parisienne. Les anglophones expatriés l’adoraient. Et Ernest Hemingway ou F. Scott Fitzgerald furent des habitués.
En 2006, George Whitman reçut d’ailleurs les insignes d’officier des Arts et des Lettres pour sa contribution à la vie littéraire parisienne.

Paris est une fête

Le nom de la librairie avait été donné en hommage à celle que Sylvia Beach, tenait autrefois au 12 rue de l’Odéon et qui fut considérée, pendant l’entre deux-guerres comme le centre de la culture anglo-américaine à Paris. Elle était souvent visitée par des auteurs appartenant à la « Génération perdue », tels qu’Ernest Hemingway, Ezra Pound, F. Scott Fitzgerald, Gertrude Stein et James Joyce. Considéré comme étant de haute qualité, le contenu de la librairie reflétait les goûts littéraires de Sylvia Beach. Shakespeare and Company, tout comme ses habitués littéraires, sont continuellement mentionnés dans Paris est une fête d’Hemingway. Les clients pouvaient acheter ou emprunter des livres comme le controversé L’Amant de lady Chatterley de D. H. Lawrence, interdit en Angleterre et aux États-Unis. Elle se trouvait alors en face d’une autre librairie tenue par Adrienne Monnier où le tout Paris littéraire se pressait comme le rapelle la belle exposition sur la photographe Gisèle Freund à la Fondation Bergé (voir article). Et ce serait pour avoir refusé de vendre le dernier exemplaire de Finnegans Wake de James Joyce à un officier allemand que la première « Shakespeare and Company » aurait été  fermée en décembre 1941!

La relève

La fille de George Whitman, Sylvia, a repris la boutique en 2001, donnant un second souffle à la librairie en organisant plusieurs festivals culturels, la création en 2010 d’un prix littéraire Paris Literary Prize et des lectures hebdomadaires. Ainsi, tous les deux ans depuis 2003 se tient le FestivalandCo qui fait se rencontrer à Paris les écrivains anglophones en vogue et à découvrir. La librairie est également toujours un asile pour les écrivains qui souhaitent rester pour quelques nuits.

Quant à son père, cet amoureux des livres, il sera enterré au Père Lachaise, en compagnie de ses amis, Guillaume Apollinaire, Colette, Oscar Wilde et Balzac. De quoi continuer les conversations…

Par Ulysse Gosset

Les fidèles sont venus devant la librairie, fermée, rendre un derrière hommage.

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