22 mars 2015
Michel Lethiec, l’ambassadeur à la clarinette

Lethiec Prades
Directeur artistique du festival de Prades, incontournable rendez-vous estival fondé par le violoncelliste Pau Casals qui célèbrera cette année son  65ème anniversaire. Michel Lethiec est une figure majeure de la vie musicale, en France, comme hors de nos frontières. Le clarinettiste reconnu, maître autant dans le répertoire classique que la musique d’aujourd’hui qu’il soutient activement, est aussi un pédagogue qui ne l’est pas moins, enseignant à Paris et Nice, et donne aussi régulièrement des masterclasses.  Indissociable de son académie pour jeunes talents, Prades ne pouvait avoir meilleur ambassadeur, et c’est à l’occasion des rendez-vous annuels au Théâtre des Champs Elysées que nous l’avons rencontré.

Vous allez jouer ici ce soir avec vos amis musiciens. Comment vous est venue cette idée de Prades à Paris ?

J’étais en tournée au Japon quand un jour, le directeur de la salle Casals à Tokyo est venu me voir en me proposant de venir faire des concerts avec d’autres musiciens du festival, pendant une semaine. Ça a très bien marché, et au retour, évoquant cette expérience au cours d’un déjeuner, Alain Durel, le directeur du Théâtre des Champs Elysées, m’a répondu : « mais pourquoi vous ne feriez pas la même chose à Paris ? ». J’étais un peu réticent au début, mais dès la première année, le succès a été au rendez-vous, et la formule n’a jamais cessé, avec Alain Durel, Dominique Meyer, et enfin Michel Franck, et bien sûr Francis Lepigeon, qui est l’ami commun.

Combien de tournées Prades organise-t-il chaque saison ?

Le festival n’est pas du tout une maison de production, donc on voyage, mais ce n’est pas l’objectif premier. On va maintenant en Corée chaque année. Il y a eu la Chine. On est allé récemment en Amérique, et on retourne en Israël. Mais c’est surtout un côté amical, avec des gens que l’on aime, bien, plus qu’une tournée avec un management, etc. L’esprit de Prades, c’est avant tout une famille de musiciens. En somme, on fait deux ou trois tournées par saison.

Et Paris demeure une constante ?

Oui, car c’est surtout le symbole. Quand on imagine que les plus grands solistes se sont produits à Prades, tout ça grâce à Casals, je trouve que c’est un joli symbole de voir Prades monter à Paris, dans l’une des plus grandes salles de concert du monde…
Parlez-nous de ce que vous choisissez de jouer à Paris…
Dans une programmation aussi prestigieuse que celle du Théâtre des Champs Elysées, on n’allait faire ce qui se fait déjà, mais plutôt des mélanges, avec des formations un peu plus importantes, à l’image de ce pratique Prades depuis des années et qui a inspiré d’autres festivals. Ainsi on va donner ici les Chants d’un compagnon errant de Mahler couplé à l’Octuor de Schubert, ou des concerts thématiques, comme les grands quintettes.

Quel est le lien entre le programme de l’été et ce que vous jouez à Paris ?

Il y a toujours un trait d’union entre les deux. Cette année, le thème c’est « notes croisées », et là on réalise plein de croisement, entre voix et instrumentistes, entre originaux et transcriptions, etc. Sauf qu’ici, on donne moins de musique contemporaine, pour des raisons de public entre autres. Cela étant, on propose plein de raretés : je pense par exemple à la version réduite des Chants d’un compagnon errant ou encore celle de Till l’espiègle de Strauss, qui n’ont pas été données à Paris depuis assez longtemps.

Justement pourquoi « notes croisées » pour ce 65ème anniversaire ?

J’avais envie de créer des mélanges, des parentés, des échos, entre les œuvres, les genres, les tonalités, entre la peinture et la musique. J’ai voulu aussi évoquer les débuts de Casals, le 31 juillet, dans les cafés-concerts, où Albeniz l’a découvert, devinant en lui le génie qu’il allait devenir. Et l’après-midi, toujours à Molitg, on fera résonner le violoncelle de Casals, remis en état par Jean-Jacques Rampal, qui a pris la suite de Vatelot, le luthier de Casals. Voici un bel exemple de croisement de générations.

A ce sujet, Prades accorde une place importante à la nouvelle génération. Comment cela a évolué au fil de l’histoire du festival ?

Les jeunes de l’Académie, on les retrouve souvent à l’Adami et la Spedidam. Parfois même certains jouent dans les deux, tant le niveau de l’Académie est élevé. Et certains ont connu une progression fulgurante. Le dernier en date, c’est Edgar Moreau, encore étudiant il y a trois ans, revenu il y a deux ans parce qu’il aimait l’ambiance du festival pour jouer avec les amis, et dont maintenant la carrière s’est envolée.
A côté de cela, il y a en qui reviennent régulièrement, comme cette jeune chinoise pour préparer le concours de Munich. De fait, les liens tissés ne s’arrêtent pas avec la fin du programme académique. Il y a une osmose entre les participants qui les porte. François Salque, l’un des meilleurs violoncellistes de sa génération, maintenant professeur, en est le plus bel exemple.

Constatez-vous une évolution du niveau des musiciens ?

Je ne dirai pas que les jeunes sont meilleurs que leurs aînés, mais incontestablement l’assimilation technique est plus rapide. Après, il y a des domaines où l’école française a beaucoup progressé ces vingt dernières années ; je pense au violoncelle, grâce à des gens comme Philippe Muller.

Vous êtes professeur au CNSM à Paris et à Nice. Quelles sont les différences du système français par rapport à leurs homologues européens ?

Chez nous, on n’a que deux grandes écoles, du moins pour mon instrument, la clarinette, ce qui fait que la concurrence est très sévère, tandis qu’en Allemagne, par exemple, il y a vingt-trois « Hochschüle ». De plus, le cursus germanique  s’apparente plus à l’universitaire, avec moins de contrainte quant à la limite d’âge, ce qui des donne des musiciens peut-être moins brillants, mais avec plus de maturité et de culture. Mais surtout la différence fondamentale, c’est qu’en France, on n’a que trente orchestres, avec certains en grosse difficulté, alors que de l’autre côté du Rhin, c’est plus de cent vingt, ce qui fait que l’on aboutit à un système dément qui produit des musiciens qui n’ont pour seul avenir que de devenir professeurs de futurs professeurs. Cela étant, on assiste à un retour de la musique à la télévision : quoiqu’on pense de la qualité de ces émissions, elles remettent la musique au cœur du public.

Revenons à la programmation..

Aujourd’hui, grâce entre autres à internet, beaucoup de choses deviennent disponibles, et on peut rechercher des raretés. Cela étant, je me garde de m’interdire de refaire les grands classiques, car il y a des gens qui vont les écouter pour la première fois. A côté de cela, il y a les oubliés du répertoire classique, comme les Kreutzer ou Berwald, et ça c’est passionnant. Et bien sûr la musique contemporaine. Et là on se heurte à différents problèmes, notamment financiers, comme le paiement des droits d’auteur. De plus, il faut parfois faire appel à des instruments particuliers qu’il faut louer, et ça attire moins de monde. Cela freine la diffusion du répertoire d’aujourd’hui. Bien sûr, il y a des manifestations spécialisées qui se portent bien, mais cela reste souvent réservé à une élite. Il faudrait que ce soit dans le cahier des charges de chaque orchestre, chaque festival, de promouvoir la musique du vingtième et vingt-et-unième siècle.

Vaste sujet, sur lequel notre rencontre s’achève, évoquant la récente inauguration de la Philharmonie, projet porté entre autres par Pierre Boulez, figure éminent du monde musical qui avait l’oreille des politiques, et dont on cherche désespérément un successeur…
Par Gilles Charlassier

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