5 février 2019
Michel Legrand, Farewell l’artiste

Il est des noms de famille qui ne s’inventent pas. Legrand, le bien nommé. A 86 ans, ce monument national français a quitté la scène; il devait remonter le 17 et 18 avril prochain sur la scène du Grand Rex avec ses « friends », la soprano Natalie Dessay, Richard Galliano, Michel Portal, Sylvain Luc et le big band de Michel Legrand. Vendredi 1er février, à 14 heures, son cercueil, après une messe en la Cathédrale orthodoxe de Paris, rue Daru où l’on pouvait croiser Brigitte Macron-enfin sortie de l’Elysée- Michel Leeb,  le musicien Vladimir Cosma, le ministre de la Culture Franck Riester, le réalisateur Claude Lelouch, les écrivains Didier Van Cauwelaert et Éric-Emmanuel Schmidt ou encore le journaliste Ivan Levaï et Smaïn, est arrivé sur la scène du Théâtre Marigny. C’est là que la comédie musicale Peau d’âne pour laquelle il ajouta dix minutes de musique en novembre dernier se donne chaque soir; le décor de la forêt enchanteresse a ainsi servi de fond à cette cérémonie ouverte au public,  en présence du cercueil  selon le souhait de la veuve du compositeur, la comédienne Macha Meryl, épousée en 2014. Agnès Varda ne put d’ailleurs s’empêcher de relever sa gêne: « Parler à côté du cercueil de Michel, c’est un peu difficile. La dernière fois qu’on s’est vus, on s’est tenu la main et j’ai senti qu’il replongeait avec moi dans les années où nous étions ensemble avec Jacques (Demy) ». Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Les mots de La Boétie et de Montaigne auraient pu s’appliquer à ces deux hommes qui s’étaient rencontrés en 1960. « Si nous avions été une homme et une femme, nous aurions fait notre vie ensemble » s’amusaient-ils à dire; lui, Michel, fils d’un compositeur l’ayant abandonné très jeune, et qui avait soigné sa détresse avec la compagnie du piano paternel et l’autre, Jacques, fou de cinéma dès son enfance, vont se rencontrer sur le premier long métrage de Jacques Demy, Lola, grâce à Georges de Beauregard, le producteur d’À bout de souffle, film iconique de Jean-Luc Godard. 

Trois Oscars, aucun César

L’amitié durera jusqu’à la mort de Jacques Demy, en 1990. « On ne s’est pas toujours entendus, mais on s’est toujours compris »résumera Michel Legrand. Ses accès de colère ont marqué tous les musiciens qui ont eu affaire à lui. Pianiste virtuose, ce résilient était aussi exigeant avec les autres qu’avec lui-même. Une exigence qu’il partageait avec, Nadia Boulanger, « celle qui entend tout » selon le grand Stravinski, qui fut au conservatoire sa professeure dont les anciens élèves ne sont rien de moins que Gershwin, Quincy Jones ou le grand chef d’orchestre classique John Eliot Gardiner. Cinq ans après son premier cours, il savait tout faire: jouer d’une douzaine d’instruments, être chef d’orchestre, concertiste, compositeur et orchestrateur. « J’ai juste laissé le destin choisir dans quel ordre tout cela allait se passer » . Ce sera orchestrateur en premier pour Maurice Chevalier puis Henri Salvador, lequel dira « C’était un merveilleux musicien mais pas un homme formidable ». Suivront Barbara Streisand, le succès de la trilogie Legrand-Demy, Les parapluies de Cherbourg, Palme d’or en 1964, Les demoiselles de Rochefort et Peau d’âne avec, comme muse la jeune Catherine Deneuve. La grande Catherine n’était pas là vendredi, à la différence de Frédéric Beigbeger qui, après un discours lénifiant du nouveau ministre de la Culture, Franck Riester, ironisa: « Je ne vois dans cette mort qu’un atout : elle permet à la France de se rendre compte du génie de Michel Legrand. Trois Oscars, zéro César, vive la France ! Pour être reconnu chez nous, il faut crever, c’est comme ça. » C’est en effet dès 1968 que l’Amérique salua par une statuette dorée son génie avec la bande originale du chef d’oeuvre de Norman Jewison, L’affaire Thomas Crown.  Michel Legrand s’empara des cinq heures déjà tournées, composant seul en n’ayant vu le film qu’une seule fois, une heure et demie de musique originale, afin que le réalisateur puisse le monter ensuite en se calant sur sa musique. A l’arrivée, une mélodie inoubliable, The Windmills of Your Mind – Les Moulins de mon cœur, en hommage à ce moulin qu’il avait acheté à Rouvres, à une soixantaine de km de Paris. La Vesgre y coule toujours, à l’image de ses chansons que l’on continuera de fredonner encore longtemps. La marque indélébile des plus grands.

Par April Wheeler

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Un autre magnifique duo, Michel Legrand et Maurane dans Les parapluies de Cherbourg

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