19 août 2013
Menton sur les vagues de la musique

Promontoire de carte postale intimiste bercé par le roulis de la mer, le parvis de la Basilique Saint-Michel est un lieu mythique. Comme Aix ou Prades, le festival de Menton a été créé au lendemain de la seconde guerre mondiale, et grâce à la passion d’André Böröcz, il a su réunir pendant cinq décennies les plus grands noms de la musique – Mislav Rostropovitch, Wilhem Kempff, David Stern, parmi tant d’autres. Sous la houlette de son nouveau directeur artistique, Paul-Emmanuel Thomas [que nous avons à cette occasion rencontré, voir portrait dans Il/Elle], il perpétue pour sa soixante-quatrième édition cette tradition d’excellence.

En jouant un programme jadis enregistré par Britten et Rostropovitch, Gautier Capuçon et Frank Braley ont rendez-vous avec deux légendes du festival. En guise d’apéritif, les Variations que Beethoven a composées sur le duo entre Pamina et Papageno dans La Flûte enchantée révèlent d’emblée la juvénilité contagieuse des interprètes, que l’on retrouve dans une Seconde Sonate pour violoncelle et piano de Mendelssohn à la séduisante facilité mélodique. Initialement intitulée « Pierrot fâché avec la lune », la Première Sonate en ré mineur de Debussy mêle onirisme évocateur et touches humoristiques – dans la Sérénade, les pizzicati de Gautier Capuçon semblent flotter sur le clavier de Frank Braley, à moins que ce ne soit l’inverse. Quant à la Sonate de Britten, écrite en 1960 pour Rostropovitch, la vitalité qu’elle dégage ne l’empêche pas de s’envoler vers le silence – dans l’Elégie et la Marche en particulier. Une soirée hors des sentiers battus qui se referme sur une des plus célèbres pages du répertoire, la Méditation de Thaïs, dont la version pour violoncelle magnifie le lyrisme – et en cela Gautier Capuçon s’y entend sans égal.

Légendes d’hier et d’aujourd’hui

Le lendemain, c’est l’art raffiné d’Arcadi Volodos que l’on découvre sur le parvis Saint-Michel. Depuis qu’il a découvert – et enregistré – l’œuvre de Mompou, compositeur catalan du vingtième siècle, le pianiste russe l’invite à chacun de ses concerts. Ce mercredi soir à Menton, ce sont deux Préludes et deux Dialogues dont il fait ressortir la lumineuse sobriété. Intériorité est d’ailleurs le mot qui qualifie le mieux son jeu, et les Intermezzi opus 118 de Brahms en donnent un remarquable exemple. Ce sens du détail, qui agrandit les dimensions de ces miniatures jusqu’à en faire un monde, s’exprime de manière privilégiée dans les Scènes d’enfant de Schumann. Le Colin-maillard ou le Croquemitaine y vivent ainsi avec beaucoup de saveur. Un toucher tout en retenue et une interprétation originale des tempi esquissent une pudique mélancolie distillée avec une inimitable sensibilité – la conclusion Le poète parle est une perle auprès de laquelle les mots ne se peuvent mesurer. Cette liberté désarçonne cependant quelque peu dans la Fantaisie opus 17, vaste partition profondément lyrique dont Arcadi Volodos adoucit les arêtes, et substitue à l’énergie épique qui la parcourt une étrange rêverie. Et comme toujours lorsqu’il est en grande forme, le virtuose russe fait de ses bis une sorte de troisième mi-temps du concert, qui des introspections du romantisme allemand s’échappe vers l’exubérance d’une Rhapsodie de Scriabine – l’un de ses compositeurs fétiches – et une transcription d’une mélodie populaire dont lui seul a le secret.

Si le légendaire parvis a fait la réputation du festival de Menton, celui-ci n’en a pas moins investi d’autres lieux, à l’image du musée Cocteau  (le poète fut un hôte régulier de la Côte), où, à 18 heures, se produisent des artistes dans un format (encore plus) intimiste. Les dimensions de la salle se révèlent d’ailleurs idéales pour le récital de harpe de la lauréate du concours de harpe initiée cette année en l’honneur de Jacques Taddei, grande figure du monde musical azuréen disparue en 2012 – la perspective sonore y est d’une précision remarquable – une véritable parenthèse hors du temps. Quant au Quatuor Ludwig, la formation française prend littéralement à bras-le-corps La Jeune et la mort de Schubert. Une interprétation à la hauteur de leur réputation, même si l’on peut préférer le violoncelle généreux d’Anne Copéry à un premier violon parfois métallique. Aucun doute n’est permis : les générations de musiciens se croisent à la frontière italienne et Menton s’inscrit plus que jamais sur la cartographie de la France mélomane.

Festival de Menton, du 1er au 14 août 2013

http://www.festival-musique-menton.fr/

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