12 août 2016
Menton rend hommage à Sviatoslav Richter

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A la tête du festival de Menton depuis 2013, Paul-Emmanuel Thomas a redonné au rendez-vous azuréen sa place de choix sur la carte musicale de l’été, mêlant, avec un succès qui se confirme au fil des années, les légendes d’hier à celles de demain. Pour cette édition 2016, les commémorations autour de Sviatoslav Richter, né en 1915, se prolongent sur le parvis de la Basilique Saint-Michel, où il fit ses débuts il y a tout juste cinquante ans, en 1966. Si Boris Berezovsky, invité le 9 août, s’affirme aujourd’hui sans doute comme une réincarnation de la puissance des moyens du pianiste soviétique, le cœur de cet hommage demeure le récital, le vendredi soir précédent, de celle qui fut l’une des plus proches disciples du maître russe et de sa profondeur poétique, Elisabeth Leonskaja – dans un juste démenti aux caprices de la météo mentonnaise, qui, pour ses deux précédentes venues, l’avait reléguée dans la basilique.

Légende russe sur le parvis

Sans aucune affectation préliminaire, le programme s’ouvre sur la Sonate n°17 en ré majeur de Schubert – qu’elle sert avec une délicatesse inspirée. L’intensité expressive affleure dès l’Allegro vivace. Plutôt qu’accentuer le contraste entre l’apparente insouciance initiale et la dramatisation des modulations, la soliste russe privilégie une subtile fluidité où d’aucuns décèleront des accents songeurs, et une pudeur où se distingue une personnalité qui, avec le compositeur viennois, a trouvé un confident de choix. Les affinités électives se confirment dans un Con moto empreint de naturel, où l’intelligence des variations s’appuie sur une souplesse de jeu instinctive, que ne contredira pas un Scherzo allant à l’essentiel, sans négliger les contrechants de la structure rythmique – une très belle main gauche. Le finale, jubilatoire, d’une légèreté qui ne se confond pas avec la superficialité, n’oublie jamais les demi-teintes qu’Elisabeth Leonskaja dessine avec un art consommé.

A rebours de la virtuosité mystique qui prévaut parfois dans Les Années de pélerinage de Liszt, le Sonnet de Pétrarque n°104 déploie ici ses longues phrases lyriques avec une réserve lumineuse et décantée. Quant à la grande Sonate opus 37 de Tchaïkovski, sa variété se trouve ici admirablement en valeur, tout en évitant les facilités. Le Moderato e resoluto inaugural, aux allures de marche beethovénienne s’abstient de la tentation de grandiloquence, et s’oppose à la tendresse nostalgique de l’Andante. Après un étourdissant Scherzo, l’Allegro vivace donne la mesure d’une maîtrise non ostentatoire des potentialités sonores de l’instrument dont fait preuve une pianiste, qui, dans les deux bis offerts au public mentonnais, dévoile avec les aériens Feux d’artifice de Debussy et un cristallin nocturne de Chopin un autre visage de son répertoire.

La jeunesse au musée Cocteau

Le festival de Menton, ce sont aussi les concerts de la fin d’après-midi au musée Cocteau, où les mélomanes peuvent entendre les meilleurs talents de la nouvelle génération auxquels Paul-Emmanuel Thomas prête une oreille attentive. Le 4 août, accompagnée par le piano complice d’Hélène Couvert, Juliette Hurel invite à une promenade dans le corpus consacré à la flûte. Si on reconnaît la Siciliano de la Sonate BWV 1031 de Bach, les Variations sur « La Belle Meunière » de Schubert ne manquent pas de séduire avant que la flûtiste ne passe en coulisses pour faire entendre la cantilène de Syrinx, suivant la dramaturgie voulue par Debussy dans cette musique de scène. Après un prélude de Debussy pour le clavier seul, les deux partenaires se retrouvent dans les roucoulades du Merle noir de Messiaen – sans doute l’un des avatars les plus connus du catalogue ornithologique du compositeur français – et, pour finir, la Sonate de Poulenc, au virevoltant finale.

Le lendemain, Lise Berthaud fait vibrer la Sonate pour arpeggione de Schubert à l’alto – variante de la version pour violoncelle, sans doute plus commune – soutenue par la sobriété d’Adam Laloum, qui fait ressortir le moelleux de l’archet de la soliste française. Le duo restitue ensuite de très narratifs Märchenbilder de Schumann, à la manière de contes miniatures, tandis que la Deuxième Sonate opus 120, initialement conçue pour clarinette et piano, et que Brahms lui-même a transcrite pour alto et piano, respire une sincère intimité, à l’image de la manière des deux jeunes interprètes. Mentionnons enfin les masterclasses de violon, où Maxim Vengerov est passé donner quelques conseils à des musiciens en herbe, jalonnant également un festival qui investit Menton sans compter : le plaisir des notes ne saurait être avare.

Par Gilles Charlassier

Festival de Menton, concerts des 4 et 5 août 2016, jusqu’au 13 août 2016

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