4 avril 2012
Meneuse de ballet

Brigitte Lefèvre a la chance de diriger- enfin « d’animer » depuis 20 ans la meilleure compagnie de danse du monde. Si, si, voyagez, comparez et vous comprendrez pourquoi les danseurs de l’Opéra de Paris sont sans cesse invités à danser dans ces pays, partant en tournée l’été durant aux antipodes comme en Australie l’an dernier. Mais revenons à Garnier, ses couloirs où l’on se perd comme en forêt, ce petit bureau car elle ne les aime que petits, lieu où elle reçoit, entre photos de danseurs ou clichés personnels,  le tout dans un joyeux capharnaüm à l’image de cette femme, amoureuse du « collectif », plus critique avec elle même qu’aucun autre observateur,  ancienne danseuse, élevée avec sa soeur  par une mère, « seule et sans beaucoup d’argent », mais faisant que leur vie soit « chaque jour une comédie musicale ». De quoi la faire songer chaque soir, avant tout, à ce spectateur pour lequel  ce sera « une première fois« , ou à cette dame un peu âgée,  inquiète que cette directrice en arrivant ne fasse que « du pied nu ». Et qui avait ajouté qu’elle s’était, au final, mise à aimer grâce à l’Opéra de Paris, les ballets modernes…

Vous aimez cet exercice, être là et répondre à des questions?

Elle rit. Ni je n’ aime, ni je n’aime pas. Cela dépend de la façon dont le journaliste arrive disposé, dont moi même je le suis et ensuite la qualité des questions, la possibilité de répondre et qui fait qu’au final la rencontre m’aura été agréable ou pas.

Je vous entendais au téléphone avec un danseur, votre métier c’est de négocier?

Je ne négocie pas, ce n’est pas un mot qui fait partie de mon vocabulaire. C’est plutôt proposer, décider;  que cette décision qui est la mienne fasse réagir l’artiste et que suivant sa réponse et les arguments qu’il va me donner, cela puisse éventuellement me faire changer d’avis- ce que je viens de faire à l’instant avec Mathias Heymann (danseur étoile). Je voulais qu’il danse à la première à New York mais, il m’ a fait valoir un argument que j’ai accepté pour qu’il ne le fasse pas.

Vous avez vous même été danseuse, quel souvenir gardez vous de l’autre côté?

Mais, pour moi, ce n’est absolument pas l’autre côté. C’est quelque chose que l’on a beaucoup de mal à réaliser mais en ce qui me concerne, c’est une même chose que d’aspirer à l’excellence; c’est un jeu de rassemblement, de compétence-pas de séparation.

Comment êtes vous venue à la danse?

J’ai une formule: ma mère adorait la danse et j’adorais ma mère!

Elle a pourtant choisit la musique…

Ma mère aurait pu être danseuse, elle aurait d’ailleurs été meilleure que moi, mais ma grand mère voulait qu’elle soit pianiste-concertiste. Mais je pense que ce n’est pas ce qu’elle aurait souhaité…

Elle parle alors de sa mère, attirée par l’Opéra, cet univers extraordinaire, cette camaraderie qui existe pleinement et ce monde en soi qu’est la danse, la relation avec l’autre, comment elle y est entrée en étant une des plus petites et comment cela l’a éduquée, ne gardant un souvenir « ni bon ni mauvais » de ces années à l’école de l’Opéra où elle a fait toutes ses classes.

Pourquoi avez-vous eu envie au bout de dix ans de quitter l’Opéra et créer votre propre compagnie?

L’envie  d’ouvrir la porte, oui et de sortir. Faire nos propres chorégraphies  avec Jacques Garnier- on était très  inconscients et on a eu la chance d’être repérés  par Jean Vilar avec ce privilège pour moi de présenter ma première chorégraphie dans la Cour du Palais de Papes à Avignon. On a  commencé en coopérative ouvrière! Il était clair pour moi que je voulais savoir à travers cette expérience si j’étais capable de construire par moi même et prendre mes responsabilités-on est très biberonné vous savez à l’Opéra … Même si à l’époque j’ai fait une énorme peine à ma mère,  j’ai adoré rencontrer un nouveau public, donner des cours à des amateurs, et tous ces échanges. Et puis Cunningham et Béjart qui nous ont confié des oeuvres, c’était formidable.

Vous avez ensuite été inspectrice pour la danse? Le mot fait un peu peur…

Ça dépend comment on inspecte et ce qu’on inspecte! En fait, après cette expérience,  j’ai voulu m’arrêter; je venais de rencontrer mon mari et d’avoir une petite fille alors, je suis allée voir le Ministère de la culture et là, on m’a proposé d’être inspecteur générale de la danse! Je ne savais pas ce que c’était mais comme j’étais un peu inquiète quand même pour la  suite, j’ai dit oui et cela m’a passionné! Je me suis retrouvée pendant deux ans dans un bureau minuscule avec des piles de parafeurs; moi qui ne savait pas ce que c’était que de s’asseoir, j’allais voir les maires, les conseils généraux….

Mais vous donniez des notes? 

Bien sûr!  Sinon, on donne la même chose à tout le monde, il n’y a pas d’inspection…Il y avait des commissions, tout un système démocratique. Puis,  on m’a proposé d’être déléguée à la danse; j’étais très fière moi qui n’ai quasiment pas fait d’études secondaires de me retrouver avec des énarques. En 1992, il y a eu un grand problème à l’Opéra-vous savez il faut toujours se méfier quand il y a trop de chefs et pas assez d’indiens… Un décor a lâché, a tué une femme et fait beaucoup de blessés. Alors Jack Lang et Pierre Bergé m’ont demandé de venir quasiment « en mission ». Puis, lorsque Hugues Gall est devenu le directeur, installant une véritable V ème république,  la direction de la danse a été la seule qu’il a bien voulu déléguer vraiment. Aujourd’hui, c’est désormais ma maison avec cette idée qu’il y a dans ces murs une multitudes de pensées, de souvenirs et qu’au milieu de tous ceux-là, il y a les miens.

 

Comment faites vous une saison?

Je ne met pas que des noms dans un programme! J’aime suivre les gens et exercer cet art des rencontres entre les chorégraphes et les danseurs. Comment faire pour que le public ne s’arrête pas à  » j’aime,  j’aime pas », comment il puisse avoir le goût et qu’on lui donne la possibilité de voir et d’entendre. Par exemple pour 2013, il y a beaucoup de temps pris par le lyrique avec le Ring. Il fallait donc composer; cela créé des opportunités, je trouve ça très « danseur », ça me plait ça, de me dire quel est le challenge, qu’est ce qu’on va faire de cela  plutôt que courber le dos et de faire comme on peut! Il va y avoir une nouvelle génération qui va danser, plus de créations « choc » par rapport à des choses que l’on croit installées, mais également des ballets du répertoire comme Don Quichotte, la Sylphide.

 

Vous auriez pu faire un autre métier?

Quand j’étais petite, je voulais être avocate et chanteuse de blues! Alors je ne sais pas si j’aurais pu faire les deux conjointement… J’avais aussi été approchée pour jouer dans une comédie musicale. Plus tard, alors que je dansais dans l’indifférence générale, une fois que j’ai revisité le morceau façon comédie musicale, elle m’apporta un vrai triomphe ! C’est important de « s’ouvrir ». J’adore le cinéma aussi, on m’a fait des propositions mais il y a trop de gens morts que j’aime pour aujourd’hui me lancer dans tout ça…

 

La demie heure prévue s’est étirée. « Vous en ferez ce que vous voudrez » me dit-elle, racontant pour finir que pas mal de gens, à son arrivée, s’étaient demandés ce qu’elle venait « foutre là », avec cette idée que personne n’est digne d’intérêt à part en étant danseur étoile. Voilà en tous cas pour cette bientôt « grand mère » de quoi les faire mentir démontrant au passage que briller au firmament vingt ans durant, c’est en être aussi une, autrement.

Par Laetitia Monsacré

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