18 décembre 2011
Méliès forever

D’aucuns se demandent peut-être ce que Martin Scorsese vient faire à la réalisation d’un conte de Noël en 3D. En apprenant qu’il adaptait au cinéma Hugo Cabret, un roman pour enfants signé Brian Selznick, il y avait de quoi se demander ce que le réalisateur de « Casino » et « Taxi Driver » venait bien faire dans ce qui aurait pu être une galère. Eh bien,  lunettes sur le nez, soyez en sûrs, il s’agit ici bien là d’un film de Scorsese. Sans doute,  même celui qui en dit le plus sur lui…

Hugo, orphelin de 12 ans, vit caché dans les rouages de l’immense horloge de la Gare Montparnasse. Son père est mort dans un incendie. Ne reste de lui qu’un automate qui ne fonctionne plus. Alors Hugo n’a qu’une obsession, faire qu’il remarche. Il chaparde donc régulièrement des jouets dans le magasin de la gare, histoire d’en démonter les mécanismes et de récupérer quelques vis et écrous. Sa quête va le mener bien plus loin qu’il ne l’aurait imaginé puisqu’après moultes péripéties, il découvrira que le tenancier de ce magasin n’est autre que George Méliès, l’un des pères fondateurs du cinéma, génial créateur du Voyage sur la lune. Et Scorsese de s’amuser avec cette plongée féerique dans l’histoire du 7ème art des frères Lumière à Harold Lloyd. Pour les cinéphiles, comme pour les autres, l’expérience se révèle assez jubilatoire.

Hugo Scorsese

D’autant que tout dans ce film transpire le personnage de  Scorsese. Comme Hugo, le petit Martin a découvert très tôt le cinématographe, initié par son père. Il en ressortait exalté, gribouillant toutes sortes de croquis dans son carnet. Méliès, magicien de son état, inventa les trucages et les premiers effets spéciaux, Martin Scorsese s’attaque aujourd’hui- avec brio- à la 3D. Méliès, ruiné et délaissé par le public brûla tous ses films après la guerre. Scorsese, en bon obsessionnel du cinéma, s’emploie depuis des années à restaurer les pellicules en perdition. Hugo aime les machines, les automates, les rouages des joujous mécaniques. Méliès les décors de carton pâte, les fumigènes, et les machines infernales; Scorsese les caméras et les projecteurs. Tous partagent cet amour de l’ingénierie au service de la créativité, du bricolage au service de la poésie.

Inutile de préciser qu’Hugo Cabret est superbement réalisé, méticuleusement scénarisé. Qu’au delà d’être extrêmement divertissant- quoiqu’un peu long au démarrage, le réalisateur américain propose là un spectacle de chaque instant. Un Paris fantasmé, 100 % carte postale, certes, mais, diablement efficace.

Le voyage extraordinaire

A l’occasion de cette giga sortie scorsesienne, surfant très intelligemment sur la vague Méliès, Serge Bromberg et Eric Lange, grand tarés du cinéma eux aussi, sortent un documentaire essentiel sur le créateur du Voyage sur la lune, chef d’œuvre disparu de Méliès tourné en 1902, et sur leur incroyable épopée pour restaurer le film. Malgré une voix off un peu ringarde et un ton très didactique, on y apprend à peu près tout sur l’inventeur du « spectacle cinématographique », ses débuts comme magicien, sa fascination immédiate pour les balbutiements de l’image animée, la création de son studio de cinéma à Montreuil, la réalisation de ses premiers trucages, son succès fulgurant puis son déclin brutal après seize ans de créations insensées, dont ce fameux Voyage sur la Lune, récit tout à fait subjectif, de la conquête de l’espace. Treize minutes de poésie pure, de fantaisie absolue, de décors loufoques. Un trésor en technicolor que l’on croyait perdu. Jusqu’à ce miracle lunaire survenu dans les années 80. A cette époque, Eric Lange obsessionnel de Méliès, retrouve la seule et unique copie en couleur du Voyage… dans une cinémathèque de Barcelone. Malheureusement dans un état irrécupérable. C’était sans compter sur la détermination de Lange et Bromberg. Voilà donc ce qu’ils nous racontent : leur grand voyage à eux pour restaurer ce petit bijou de 13 minutes. Il a fallu parcourir le monde, convoquer les plus grands spécialistes, décoller les bobines pendant des heures, numériser 13 000 images. Un travail de fou furieux, un pari déraisonnable… Dix ans plus tard, le résultat est là, à la fin de ce film. Véritable petit miracle cinématographique. En lui-même, bien sûr. Mais aussi parce qu’il est le fruit de dix ans de travail, d’hommes et de femmes, voués à la cause. Prêts à tout pour ressusciter Méliès. Que son nom existe et que son talent soit reconnu pour que vive le cinéma et l’émotion qui va avec. Voilà qui est réussi.

Par Sarah Gandillot

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