9 mars 2016

Dans une heure les enfants allaient arriver. Kate sortit de son lit qui ne lui offrait même plus de répit, cette sensation de petite mort qui lui permettait de passer les heures; un verre de vin, une cigarette, un cachet, le triptyque avait détraqué son coeur qui semblait hésiter entre l’emballement et le néant. Elle fit quelques pas pour sortir de la chambre, recevant une décharge de lumière et de bruits de sirènes. Par la fenêtre, elle pouvait voir la rue grouillante de monde, des petites fourmis remontant la 37 eme rue, prises au piège tout comme elle. Mais il lui semblait que tous ces passants avaient la chance de ne pas s’en rendre compte, semblant vivre avec un cerveau ronronnant lorsque le sien ressemblait à un moteur victime de serrage. 6 pm till 9pm, elle avait trois petites heures à tenir avant qu’ils ne se couchent; leur demander comment la journée s’était passée, faire les devoirs puis à l’heure du dîner, sortir une des barquettes du congélateur, la passer au micro-onde, installer quatre petites assiettes sur la table et espérer que son fils Luke reste calme. Qu’il ne se mette pas à pleurer, ne vienne la défier et trouver à la place de sa mère, la petite fille qui s’était tellement longtemps retenue de hurler. Hier soir pourtant, Kate avait craqué à table et avait rejoint son fils dans son concert de pleurs, les jumelles les regardant avec leurs grands yeux bleus écarquillés; un rire salvateur avait alors jaillit d’elle qui avait entraîné toute la tablée, un instant de joie gagné sur le reste. Audrey s’était ensuite inquiétée: « Maman, tu n’as pas faim? ». Kate avait à peine touché aux macaronis and cheese qui finiraient dans la gamelle du chien avec la minuscule satisfaction qu’au moins cela ne serait pas perdu. De ses doigts aux ongles rongés depuis des semaines, elle commençait à sentir lorsqu’elle était allongée ses côtes saillir avec un mélange de dégoût et de satisfaction malsaine. Regarde toi, Kate, tu ne vas vraiment pas bien. Sa pensée était sa pire ennemie, lui ressassant sans cesse ses échecs passés; ils devenaient des échouages dans lesquels elle se retrouvait bloquée jusqu’ à vaciller et courir s’étendre, mourir au moins à ça en fermant les yeux et en respirant pour que tout cela s’arrête.

La vie était pourtant là, partout autour d’elle mais elle n’avait plus la force d’y participer. De jouer dans cette grande cour où l’on pouvait aimer, voir demain sans crainte et se relever sans mal lorsque l’on était tombé. La peur alternait avec la tristesse, nulle distraction ne lui était désormais permise. Chaque action, chaque pensée lui coûtait avec la culpabilité de ne pas être à la hauteur, d’être pourtant une privilégiée face à la détresse qu’elle pouvait voir dans les journaux et à la télévision. Kate la prenait en plein fouet, comme une résonance à la sienne, ne sachant plus mettre de distance entre elle et le monde. Un monde qui devenait fou tout comme elle, cherchant une issue dans un brouillard toujours plus dense. Un brouillard qui rendait toutes ses journées semblables, qu’il fasse soleil ou gris dehors. Sortir était devenu un calvaire; Kate tentait de donner le change, essayant de sourire et donner un peu de vie à son regard qui était devenu si las.  Mais l’abîme dans lequel elle avait sombré ne lui laissait guère de chances; son seul espoir était que ses enfants demeurent dans leur innocence, qu’ils ne devinent pas que leur mère était devenue absente à elle-même; une automate qui prolongeait plus que d’accoutumé les câlins du soir, l’agitation prenant fin avant une nuit qui était de moins en moins réparatrice, le sommeil lui refusant même son aumône. Puis les premières lueurs du matin, les sirènes dans la rue, les enfants à réveiller, le froid qui ne la quittait plus, une nouvelle journée recommençait, désespérément semblable aux précédentes; des heures grises qui se suivraient alimentant ce mal de vivre qui était devenu son quotidien. Et dont elle ne trouvait pas l’issue, fantôme se débattant dans l’inconnu de ce qu’était devenue sa trajectoire, ses repères. Une chute libre qui devait avoir un fond, mais en ces premiers jours de printemps alors que les arbres commençaient à bourgeonner, Kate était bien incapable de deviner par quel moyen elle pourrait repasser de l’autre côté. Et de cesser enfin de dire à ses enfants: Maman est fatiguée.

Par Laetitia Monsacré

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