4 novembre 2011
Magnifique touche à tout

Cinquième saison déjà sur France 5 pour Empreintes, ces tête-à-tête avec des personnalités- artistes, hommes politiques ou issus du mondes des sciences ou de l’économie. « Comment sont-ils devenus ce qu’ils sont? » semble poser le plus souvent avec bonheur  cette collection qui suit, interroge, cherche dans l’enfance, dans la vie d’ un homme ou d’ une femme le chemin qu’ils ont su prendre-seul ou au gré des rencontres-et être aujourd’hui là, reconnus dans leur talent quel que soit le domaine où celui-ci s’exprime. Et, c’est donc souvent beaucoup d’émotion qui se dégage de ce que la directrice de la collection, Annick Cojean, décrit comme des « rencontres intimes » loin des habituels portraits ou biographies sans saveur. Ainsi le commentaire est-il  proscrit -seules les images et la personnalité s’exprimant. Cela demande bien sûr du talent chez les réalisateurs qui sont souvent amis des personnalités et belles « plumes » comme Anne Andreu pour Catherine Deneuve et Isabelle Huppert, Anne Wiazemsky qui signa un très beau Nicole Garcia ou Gilles de Maistre avec un Jane Birkin tout en complicité. Car il est évident qu’il faut que le courant « passe », que la rencontre ait tout d’abord lieu avec celui qui filme, bien souvent dans les lieux de vie et dans l’intimité de la personnalité, si l’on veut atteindre cette grâce qui donne au téléspectateur l’impression d’avoir passé  vraiment une heure en sa compagnie. Et il faut tout  le talent d’écoute ou d’empathie de Thierry Demaizière -Fabrice Lucchini, bientôt Vincent Lindon- ou de Joël Calmettes -Robert Badinter, Jean Daniel et ce soir Erik Orsenna, pour parvenir à cette difficile alchimie; que la personnalité se dévoile sans s’exhiber. Patrick Poivre d’Arvor avait pour l’exercice choisit sa fille, Dorothée.

Savoir se livrer

D’autres comme Jean D’ormesson et Sonia Rykiel ont fait confiance, avant qu’il ne soit Ministre de la Culture, à Frédéric Mitterrand. Le résultat est souvent rare et inspiré à l’image des « Empreintes » de Stéphane Hessel, Jean Louis Trintignant, Claude Chabrol, Michel Bouquet ou récemment Jacques Delors    – pourtant moins à même de se livrer qu’un « artiste ». Se livrer voilà en effet la clé; il faut accepter de perdre le contrôle. Certains à l’image d’Hélène Carrère d’Encausse y arrive plus difficilement; d’autres carrément pas à l’image de Michel Edouard Leclerc ( dont les espaces culturels Leclerc sponsorisent nombre d’émissions culturelles sur le service public) avec une heure qui tourne à l’ hagiographie et la farce comme lorsqu’il se « livre » devant un portrait de Che Guevara (son coté révolutionnaire?). Voilà en tous cas qui ressemblait fort à du publi-reportage et donne matière à alimenter les rumeurs d’opacité autour de ceux qui dressent la liste de ces 120 personnalités qui « laisseront une empreinte » dans notre société, une série de documentaires prévue initialement sur quatre ans et qui entame donc cette année les prolongations. Et c’est chose bienheureuse lorsque l’on découvre des numéros comme cette « éloge de la curiosité » avec l’académicien, écrivain et curieux de tout, Erik Orsenna. Il faut le voir godiller sur son dragon les premières images, nez au vent, « inventant sa route » dans les eaux autour de l’Ile de Bréhat- son île, sa « maitresse » dont il dit « être né là, de ses marées qui montent et qui descendent » et qu’il décrit si jouissivement dans son livre Deux Etés. Puis, la caméra de Joël Calmettes l’a suivi à Jaipur en Inde où carnet en main il réinvente Tintin reporter sur la piste, après l’eau et le coton, du papier et en Antarctique avec sa « soeur de mer  » Isabelle Autissier, répétant sans cesse ses deux mots préférés car il faut bien en avoir -cadeau et liberté « laquelle n’existe pas sans règles ». « Je veux être un écrivain religieux » dit- il sur les bancs de l’Académie Française-« cadeau sans prix » où il est entré en 1998 après avoir été jusqu’à ses trente ans « contre la vie ». Religieux, dans le sens étymologique du terme, « c’est à dire relier et recueillir ». Adepte de la « transversalité », il fait cela mieux que quiconque, à la fois dans « l’émerveillement et la compréhension de la planète » comme sur cette base en Ukraine ou dans les allées d’un Observatoire. Comprendre et donner à comprendre, « Je meurs du manque de liens »– dans ses livres, dans les discours pour François Mitterrand dont il fut le « nègre » ou encore dans les classes d’école ( la curiosité qui soigne… dans l’école qui porte son nom) – cela, sans répit pour cet homme qui m’a un jour confié qu’il ne jouerait pas les prolongations dans cette vie qui lui a donné déjà tant. Gourmand mais pas vorace… à l’instar de tous les hommes de goût.

par Laetitia Monsacré

Erik Orsenna « Eloge de la curiosité » Diffusé sur France 5 à 20h30 vendredi 4 et dimanche 6 à 9h00 puis une semaine sur Pluzz.fr et en DVD à partir du 8 novembre avec en bonus un entretien d’Erik Orsenna

 

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