24 janvier 2012
Claude et Lydia Bourguignon/ Les Taupes

 

C’est ainsi qu’ils se définissent. Claude/il et Lydia/elle, couple à la ville comme aux champs répondent au nom prédisposé de Bourguignon. C’est qu’ils la connaissent bien cette Bourgogne, jusque dans sa roche et ses sous-sols -incollables et intarissables dès qu’il s’agit d’en vanter l’équilibre parfait et unique entre le limon, le sable et l’argile qui la composent.
Des taupes, mais attention,  ces deux-là n’ont vraiment rien de nuisible, bien au contraire. C’est Coline Serreau qui les a révélés au grand public dans son documentaire magnifique d’intelligence et d’espoir –Solutions locales pour un désordre global. Car on est vraiment dans « le local » avec eux, anciens chercheurs à l’INRA, même s’ils arpentent désormais le monde entier.
Leur profession? Microbiologistes du sol; les voilà donc, ayant répondu à l’association TASTE qui milite pour un « manger mieux », assis côte-à-côte dans cette salle comble pour rencontrer un public vite conquis par eux, car ils pratiquent l’intelligence et le bon sens comme ils respirent. Et surtout pas avec la langue dans la poche. Jouissif .

Pourquoi vous êtes-vous passionnés pour les sols?

Le sol est la base de tout. Mais, aujourd’hui, on l’a totalement oublié, la seule chose qui compte pour l’agriculteur, c’est la plante. La terre est notre mère, aujourd’hui elle est devenue une grand-mère tellement elle a été exploitée sans aucun respect. Résultat, nos aliments ont totalement perdu leur qualité- les tomates ne poussent même plus dans la terre!
Dans les années 80, l’agriculteur était au début et à la fin de la chaine. Maintenant, avec la multiplication des intervenants, il n’y a plus aucun investissement possible pour lui.
Le pire drame, c’est qu’on a perdu tout sens du relationnel, sauf pour le vin peut-être, c’est d’ailleurs pour cela qu’on a beaucoup de clients vignerons.
Les AMAP (associations où l’on achète à l’avance des « paniers » que l’agriculteur remplit en fonction de sa production) ont rétabli ce contact entre producteur et consommateur.
Vous comprenez, en surface, les sols sont tous les mêmes. Alors s’ils deviennent durs comme du béton et compactés parce que labourés avec des tracteurs qui déclarent la guerre au sol en anéantissant le dialogue entre animaux, microbes et tous les micro-organismes, la plante ne peut plus creuser et se nourrir.
C’est particulièrement vrai pour les vins de terroirs, aujourd’hui ça ne veut plus dire grand chose: si les racines ne vont pas jusqu’à la roche, votre vin n’aura aucun goût particulier!
Ce sont d’ailleurs les bénédictins qui se sont rendus compte de cela en premier, dans les Côtes de Nuit: Les vignes étaient orientées vers l’est, la pluviométrie était la même, la géologie jurassienne, et pourtant d’un carré de vigne à un autre, les vins avaient des goûts différents. Car, le goût d’un grain de raisin ou de n’importe quel aliment, ce n’est pas la photosynthèse qui le fait, mais ce qui va se passer dans le sol! Rendez-vous compte, un pied de vigne peut aller jusqu’à 75 mètres de profondeur et dans un vignoble, la densité des racines est de quatre milliards à l’hectare. Les anciens l’avaient bien compris en détruisant systématiquement toutes les racines superficielles pour obliger la vigne à plonger.

Vous avez l’impression que nous jouons aujourd’hui aux apprentis sorciers?

L’homme a créé dans le passé des races et des plantes pour s’adapter au terroir.  Le comté, c’était un fromage fait avec de la vache Montbelliarde installée dans des plaines spécifiques, d’où son goût particulier. Aujourd’hui, le camembert, c’est du lait de vache Holstein, race qui vient du Danemark et qui mange du Ray grass anglais. Franchement, on n’a plus besoin d’être en Normandie pour faire cela, la Nouvelle Zélande conviendrait parfaitement! Et pourtant on continue à appeler cela du camembert. C’est comme si je vendais une chemise en nylon et que je marquais dessus « pure soie ». En matière d’alimentation, vous avez tous les droits!
Regardez le pain! Le blé d’aujourd’hui  a été choisi sur un unique critère:  répondre le mieux possible aux engrais. Du coup, vous achetez une baguette le matin, elle est toute molle le soir et dure comme du béton le lendemain. La Beauce autrefois produisait des farines qui pouvaient faire durer le pain une semaine! Au début du siècle, il y avait des centaines de variétés de pommes; aujourd’hui, vous trouvez surtout des Golden, qui sont traitées 30 fois avec des produits avant de finir chez vous! Rajoutez à cela qu’on a jamais vendu l’eau aussi chère, il n’y a plus que cela dans les légumes que vous achetez!  En parallèle, nous voyons des sols tellement durs que même à la barre à mine, on ne peut pas y entrer. Ce sont des sols morts, plus rien ne peut y pousser.

« En fait, à l’agonie », corrige sa femme Lydia. ... »elle est plus gentille que moi », s’amuse Claude. Et de raconter comment une fois, il avait vu un agriculteur se mettre à pleurer après qu’il lui ait dit cela. « On était jeunes alors », ajoute-t’elle.…Aujourd’hui on prend des gants.

Que pensez vous de la biodynamie?

C’est-à-dire enterrer une bouse de vache à la St Jean et la déterrer à la St Michel? C’est une solution oui, sachant que les goûts observés sont différents: en biodynamie, vous serez plus dans la truffe, en biologie dans le fruité, pour le vin.
Mais le gros problème, c’est qu’il manque désormais du carbone dans le sol; on est passé de 4% à la fin de la guerre à moins de 1% aujourd’hui.
La seule solution lorsque le sol est malade, c’est de faire son propre compost et d’enherber avec des graminées…et attendre: il faut entre 5 et 30 ans pour un retour à la normale!
Les sols les plus abimés sont dans le Beaujolais, avec cette taille « en gobelet » qui demande une main-d’oeuvre – économiquement ingérable – pour désherber, car les machines ne peuvent pas passer contrairement aux autres vignobles. Résultat, ils ont mis des tonnes d’herbicides et ils ont tué leurs vignes.
C’est Héraclite qui disait que « la santé de l’homme est le miroir de la santé de ses sols ». Imaginez comme on est mal partis aujourd’hui!

Qui est responsable?

Les multinationales, sans aucun doute. Elles nous ont volé nos connaissances et ont vendu à la place leur technique. Car, leur intérêt, c’était bien sûr de créer un maximum d’engrais et de pesticides grâce à l’avènement du pétrole. Vous comprenez, la nature est bonne fille, elle fait le boulot toute seule, gratuitement, il n’y a rien à gagner, alors c’était un vrai scandale pour eux!
Nous sommes allés à l’Ile de la Réunion pour aider un producteur de géraniums, ceux qui servent à la composition des parfums. On a vu un premier champ mité tenu par un petit monsieur plus tout jeune, avec des fleurs toutes petites, toutes inégales mais une odeur, ah, une vraie merveille! Et puis à coté, le champ de notre client, des superbes fleurs, des feuilles magnifiques mais plus rien… C’était foutu! Maintenant les parfumeurs achètent tout en Chine et l’Ile de la Réunion a totalement perdu le marché.
Il y a aussi les croyances; Choisir une autre voie que celle du gros tracteur, ça marginalise dans les campagnes. Tu ne peux plus aller boire la bière avec les copains au café du village si tu ne fais pas comme eux. « T’as vu comme ton champ est sale », voilà ce qu’on leur dit. C’est « la honte » de faire autre chose dans ces milieux ruraux.
Aujourd’hui, plein de grands domaines viticoles sont passés à la biodynamie mais n’osent pas le dire, à part Pontet Canet en Bordelais ou Romanée Conti en Bourgogne. En plus, il faut savoir que dans les terroirs originels comme en Bourgogne, c’est plus facile que dans le Bordelais, qui, il faut le rappeler, a été créé par l’homme. Le vin n’y est pas la vocation du sol- vous connaissez d’ailleurs cette expression » En Bourgogne, on fait de l’argent avec le vin, à Bordeaux, on fait du vin avec de l’argent ».  

Quel est aujourd’hui pour vous le vrai problème?

Sans doute que les scientifiques d’aujourd’hui ont le savoir, mais pas la connaissance. Les naturalistes avaient ça avant, les deux. Maintenant, c’est « publish or perish »: ils cherchent tous à être publiés pour leurs recherches en laboratoire sans jamais aller « se foutre dans la gadoue »! Nous, quand on a un paysan en face de nous, on ne va pas lui dire de diviser en quatre son terrain pour faire des tests comme dans un labo…on y va franchement avec la pelle et on lui donne des solutions. On parcourt près de 60 000 kms par an dans le monde pour voir des sols; si on reste dans un labo, on a que la connaissance.
Malheureusement, comme on ne bénéficie d’aucune subvention-ce n’est pas économiquement intéressant ce que l’on fait!-on n’a même pas de quoi prendre des bénévoles avec nous car on est une entreprise privée, alors tout ce savoir qui n’est qu’empirique, on l’emportera  dans le trou avec nous!

Vous ne semblez pas très optimiste!

Ça dépend des jours. Quand vous voyez que pour aller visiter un élevage de cochons, il faut vous transformer en scaphandrier pour ne pas les tuer avec vos microbes, ça fait peur non?
Non, vraiment à table maintenant, c’est plus « Bon appétit » qu’il faut se dire mais « Bonne Chance »!

Par Laetitia Monsacré

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