19 août 2015
L’orgue en majesté : l’Auvergne sous le signe de Bach

En marge des balises touristiques consacrées et des circuits de villégiatures parisiennes, les Combrailles offrent un éloquent exemple d’excellence musicale au cœur de la ruralité. Depuis 1999, Bach a rendez-vous, chaque année autour du 15 août, dans ce coin de verdure auvergnate à l’ouest de Clermont-Ferrand, pour un festival créé par Jean-Marc Thallier, qui a poussé sa passion jusqu’à faire construire pour l’église de Pontaumur la réplique exacte – la seule en Europe – de l’orgue de la Bachkirsche d’Arnstadt.

pontaumur

Reprenant le flambeau depuis une décennie, Patrick Ayrton, qui refermera cette édition 2015 avec la Passion selon Saint-Jean à la tête de son ensemble Les Inventions, ménage une évidente place de choix à tous les claviers. Les auditions d’orgue, introduites, comme l’ensemble des concerts, par le grand spécialiste du Cantor de Lepizig en France, Gilles Cantagrel, qui a publié plusieurs sommes qui font référence – entre autres celle sur les cantates – font retentir chaque midi la sonorité de l’instrument de l’église de Pontaumur, aussi belle que sa tribune. Retenue en Hongrie pour des questions de visa – à l’heure de l’Europe pourtant ! – Olga Pashchenko est remplacée par Vincent Morel pour celle de vendredi 14, tandis que Jean-Luc Ho – qui vient d’enregistrer un album consacré à Byrd qui mérite attention –  prend la relève de son concert de la veille, où l’art de Bach est éclairé par celui de ses prédécesseurs comme de ses contemporains, avec une fluidité et une intelligence illuminant l’exercice aussi délicat que parfois ingrat du récital pour clavecin. C’est ainsi toute une Europe musicale qui est conviée au fil d’une heure et demie où découverte pédagogique rime avec plaisir :  Lully et son Ouverture du Bourgeois Gentilhomme voisine avec Rofilis, une dense et germanique adaptation du Ballet de l’Impatience du même Jean-Baptiste par Buxtehude. Le sens de la construction formelle du soliste français met en valeur des pages tombées dans l’oubli, telles la Sarabande de Denis Gautier ou la Chaconne de Nicolas Lebègue, et magnifie les Fantaisies descriptives de François Couperin, à l’instar de la conclusive Amphibie.

Leçon d’intimité

Le lendemain, Matthieu Dupouy au clavicorde réserve au mélomane un de ces moments aussi rares que magiques où le temps suspend absolument son haleine. Ni clavecin, ni piano, le clavicorde et ses cordes délicatement frappées qui évoquent parfois le luth, distille une chant frêle et délicat qui invite à se rapprocher pour en goûter toute la saveur dans les dimensions réduites du clocher de Landogne. Le programme s’ouvre avec la deuxième des Sonates bibliques de Kuhnau, « Saul mélancolique et soigné par la musique », dont le soliste français révèle la délicatesse évocatrice. Le Capriccio BWV 992 que Bach composa pour le départ de son frère est détaillé avec une palette de nuances aussi ténues qu’inspirées que l’on retrouve dans la Fantaisie Chromatique et Fugue BWV 903, habité par une semblable fluidité narrative. L’après-midi se referme avec l’un des fils du Cantor de Leipzig, Carl Philipp Emanuel : l’autoportrait Fantaisie « Les Sentiments de CPE Bach » livre une sensibilité préromantique et une originalité qui peuvent faire penser aux Variations en fa mineur de Haydn, que l’on retrouve dans le Rondo « Adieu à mon clavicorde Silbermann » écrit après avoir donné l’un de ses instruments à un élève qui le désirait. Dépouillement et finesse du style célèbrent d’admirables noces de l’intimité et de l’intensité.

Chemins de traverse

Si la raison des couleurs d’époque prévaut généralement, le festival ne s’enferme pas dans l’orthodoxie. En témoignent les Concertos de Bach et ses fils donnés par l’Orchestre d’Auvergne, qui privilégie parfois la rapidité à l’expressivité des tempi, ou encore la soirée « Ca-bach-ret »  du vendredi 14 où les musiciens de BrinZig déclinent l’ombre du grand Jean-Sébastien de manière parfois surprenante et se mettent sur les pas de Django Reinhardt et Stéphane Grapelli, qui avaient livré une version jazz du Double concerto pour violon en ré mineur, dont on entend ici une variante, et mettent des épices tziganes sur et à côté des partitions de Cantor de Leipzig, invitant le public – aussi nombreux qu’un peu timide – de la Halle aux sports de Pontaumur à joindre la danse à l’oreille au fil de réjouissances qui se prolongent jusque vers minuit. Indéniablement, le génie de Bach rayonne ici dans toutes les directions.

 

Par Gilles Charlassier

Bach en Combrailles, du 10 au 15 août 2015

Articles similaires