17 avril 2015
L’opéra rencontre le jazz à Nantes

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L’Angers Nantes Opéra aime à sortir des sentiers battus, et faire une place à des productions en marge du répertoire lyrique consacré. Ainsi avait-on pu applaudir la saison dernière une création chorale (presque) sans paroles inspirée par les pièces de Tchekhov, qui avait tourné dans toute la région, La Dernière Fête de Dirk Osptaele, où l’émotion le disputait à l’économie de moyens. Cette année, le Théâtre Graslin invite à une rencontre entre l’opéra et le jazz, avec La Tectonique des nuages de Laurent Cugny, adaptant la pièce de José Rivera, Could Tectonics.
Le livret de François Rancillac et Yann-Gaël Poncet porte la trace d’un univers fictionnel indéniablement américain, et l’empreinte ne se limite pas à Los Angeles, où se déroule l’action. Tandis qu’il pleut des semaines sur la mégapole où pèse la menace du Big One, le grand tremblement de terre qui anéantira la ville, Anibal de la Luna recueille, un soir, Celestina del Sol au retour de l’aéroport où il travaille. La jeune femme, enceinte depuis deux ans, semble suspendre le cours du temps autour d’elle, et Anibal va se laisser prendre à ce piège amoureux d’une nuit où il recevra aussi la visite de son frère soldat.

Nuit surréelle à Los Angeles

Dans cette incursion de l’irréel au cœur du prosaïsme urbain se reconnaît un imaginaire plutôt outre-Atlantique. De même, l’écriture vocale, qui se tient à distance de la virtuosité opératique, prend généralement l’allure d’une déclamation rythmée plus proche de la vraisemblance narrative que des troubadours de la chanson française. Sans discuter l’optimisme utopique un peu naïf de la conclusion, le texte, comme la partition, s’attache à une sorte de romanesque de l’histoire auquel la musique apporte essentiellement un soutien dynamique. L’effectif, d’une dizaine d’instrumentistes – bois, cuivres, percussions et piano – ne s’arroge jamais de droit symphonique, et privilégie l’efficacité à l’iconoclasme. Sans doute l’homogénéisation acoustique y concourt-elle également.
On saluera pour le moins l’engagement des interprètes, et au premier desquels l’Annibal de David Linx, bienveillant, prévenant, inquiet, avant la déroute de la vieillesse. De son timbre chaud et séducteur, Laïka Fatien apporte au personnage de Celestina une fascinante étrangeté qui va bien au-delà du simple exotisme. Yann-Gaël Poncet révèle l’impulsivité et la frustration du militaire, sous laquelle peut affleurer ça et là un soupçon de sensibilité – le stéréotype du tendre qui joue les durs. Mentionnons les instrumentistes, sur scène, emmenés par le piano de Laurent Cugny. Quant à la mise en scène de François Rancillac, elle esquisse, dans des tonalités nocturnes, l’atmosphère singulière du drame, par laquelle on se laisse peu à peu happer. A défaut de se garantir une place au répertoire, la proposition nantaise mérite au moins d’être considérée, ce qui n’a pas échapper au Fonds de Création Lyrique, qui l’a soutenue.
Gilles Charlassier

La Tectonique des nuages, Nantes et Angers, avril 2014

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